“ce soir à la brume ma brune nous irons cueillir des serments, cette fleur sauvage qui fait des ravages dans les cœurs d’enfant…” & Décembre 2008, 10h08L'azur s'ouvrait à l'enfance. Et pourtant, pas une miette de tendresse ne trainait négligemment sur le champ de bataille. Ça jouait dans la cour des grands, là, tout en bas, chez les petits. Là où le jeune garçon aux mèches charbon désordonnées faisait régner son empire valeureux. Le souffle coupé, il courait si vite après la sphère qu'il semblait voler, frôler à peine la saleté du bitume de la cour de récré de ses chaussures rapiécées. Les opalines supernova injectées d'adrénaline furibonde. Rivées sur son objectif. Rien ne l'arrêterait jamais. Rien. Juste la victoire.
Une passe, une réception, jeu de jambes et puis le coup franc. S'en suivirent des cris victorieux, de mélodieux hurlements de joie fraternels.
Aurèle ! Aurèle ! On criait ça et là. Ici, il était l'enfant roi. Grand vainqueur adulé de tous. Le myocarde toujours affolé et gonflé d'or et d'admiration ; Aurèle sembla perdre de sa superbe, de ses sourires de beau prince. Le tableau était beau, si beau, bien plus beau que celui peint par maman. Mais il manquait une teinte. Un quelque chose qui faisait toute la différence. Un petit Ange bleu pastel.
Où était-il passé, son petit protégé ? La terre se mit à trembler dans le feu de ses veines. L'espace d'un moment volé par l'absence de son ami. Les iris à la recherche du turquoise de l'étang bleu. Ange. Mais ses beaux yeux, Aurèle ne les croisa pas dans la foule. Inquiet, tout à coup. Il savait bien qu'il le surprotégeait. Mais c'était vital, légitime pour lui de le garder sous ses ailes naissantes.
Il avait promis au blond de le rejoindre après avoir joué au foot. C'était fini. Il avait gagné son match, gravi une nouvelle montagne dans l'âme ambitieuse de son destin maudit. Alors où était-il allé fleurir, le seul sourire complice qui avait de la valeur pour le petit brun ? Déterminé, plus aucune espèce de fierté ne brillait dans ses soucoupes d’obsidiennes, assombries par les scenarios qu'il imaginait facilement dans son esprit. Le numéro dix de l'équipe de foot lâcha le ballon comme s'il s'agissait d'un vulgaire torchon. Plus aucun intérêt. Retrouver Ange. Toujours. Le sauver. Toujours. Il le retrouva dans l’alcôve du préau, là où aucun regard adulte n'allait s'immiscer. Jamais. Ils ne servaient à rien, à part à le coller continuellement. Soit disant qu'il était violent. Et qui n'aurait pas la rage rugissante de l'être ? Ils ne savaient pas. Ne comprenaient jamais rien.
On s'en prenait au seul garçon que personne n'avait le droit de toucher. Tout le monde le savait. On ne rigolait pas avec ça.
Menacez Ange et c'est la colère divine d'Aurèle que vous trouverez.Alors il suffit d'un sourire railleur d'un camarade au cœur noir, d'un coup de pied contre la chevelure platine aux douceurs musicales.
Aurèle voyait rouge. Rouge rage.
— Lâche-le. Tout d'suite. grogna-t-il, la voix colorée de sang, en attrapant violemment Léon, le gamin agresseur, par la capuche.
Aurèle était si jeune. Paraissait déjà si grand, si puissant. Prêt à défier des tempêtes et des titans, rien que pour le cœur des âmes les plus pures. Ange portait la plus précieuse d'entre elles. Il était prêt à tout pour la protéger. Pour elle, pour qu'elle brille, qu'elle reste belle, qu'elle illumine les cieux pour un millier d'années. Et pour lui, parce qu'il était tout.
Ange Deslunes.
Le meilleur des amis.
Le sien.Les coups s'enchainaient et les bleus se dessinaient sur les corps maladroits de deux gamins en pleine bagarre. Il n'y eut que trois autres spectateurs, et personne n'appela la maitresse. Ils avaient bien trop peur, bien trop peur de la furie d'Aurèle. Enfin, il relâcha le petit profanateur, l'envoyant valser contre les autres enfants.
— Tu vas l'payer, ça, Léon. On s'retrouve à la fin des cours.Dernière menace de la petite frappe attitrée de la récré, et tout le monde s'éparpilla à grandes enjambées. Il ne restait plus qu'eux. Aurèle, sa petite veste en cuir noir déchirée ça et là, et ses grands airs de mauvais garçon toujours paré, les poings serrés. Là, debout, faisant dos au petit corps frêle recroquevillé contre le mur, au sol.
— Je t'ai déjà dit d'pas t'laisser faire...Le petit dragon qui grommelait, les yeux toujours fixés sur l'horizon, sur la cour où tout le monde jouait, comme si de rien n'était. Comme si l'affront d'approcher une âme divine n'avait pas été commis. Et enfin, un long soupir. Aurèle se retourna, plantant ses grands yeux sombres dans les diamants de son protégé.
— Faut pas montrer ses faiblesses, tu comprends ? Jamais. Tu lâches pas. Ils sont rien à côté d'toi.La voix restait dure, colérique. Mais il lui tendit une main que le blond finit par accepter, pour se relever. Face à face. Le tertre et l'empyrée. Les traits d'Aurèle semblèrent s'adoucirent enfin, constatant les quelques blessures dansant ça et là sur le visage séraphique à quelques centimètres du sien.
— Tu as très mal ?Souffle légèrement inquiet alors qu'une main aux phalanges salit d'hémoglobine vint contourner du bout des doigts, d'à peine un frôlement, l'arcade égratignée d'Ange.
Il était là aujourd'hui. Il le serait demain.
Toujours, parce qu'il l'avait promis.
Si t'as besoin d'moi, n'importe quand. Je serais là.
Mais, si...
Toujours, Ange. J'te protègerai.
Pour un millier d'années ?
Et un millier d'plus.
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