tu peux pas t’voir (seth)

« Au fond du trou, à part le ciel, tu veux qu’j’me tourne vers qui? »
@Seth Cobalt

De ces voix qui semblent réclamer, ordonner, hurler, ce besoin incessant, ce manque constant. La chambre retournée, les tiroirs ouverts, un lit que tu ne prends même plus la peine de border lorsque tu te lèves. Nombreuses sont les boîtes vides qui traînent ici et là dans le bordel le plus total. Nouvelle crise, l’une de celles que tu penses insurmontable, le cœur qui s’emballe, proche de l’arrêt cardiaque, les fourmis présentes dans chacune de tes phalanges. T’as pleuré de l’avoir revu, tes yeux en témoignent, rougis, gonflés, imbibés de rouge, la nuit passée, incapable de dormir, de trouver le réconfort dans tes rêves les plus enfouis. D’une journée passée enfermée, pas le courage d’aller nettoyer les nombreux verres de la Casa Del Capel, t’as pourtant été prévenu, il ne manquerait pas de t’envoyer dans les ruelles sombres d’Exeter si tu osais venir sous l’influence de tes substances nocives, qu’au moindre regard, qu’au moindre geste de travers il te ferait payer le manque à gagner.
De ces moments où la psychose de n’avoir rien à se mettre sous le dent s’empare de ton corps, incontrôlable, impuissant, des colères qui surviennent sans que tu ne puisses y mettre un terme. T’as cogné contre les murs de ta chambre, encore. Quelques trous camouflés sous des papiers postés. Tu t’es finalement assis sur ton lit, les jambes tremblantes, le bout de la chaussure marquant frénétiquement le sol en bois, des ongles rongés pour faire passer l’impatience des doses que tu n’as pas pu t’enfiler.

Le seul réconfort que tu as trouvé c’est en prenant ton crayon et tes bouts de papiers après la demande d’une esquisse d’un nouveau tatouage. Il s’est présenté en frappant à la porte. Que tu l’as fait patienter, au moins le temps d’en mettre un maximum sous le sommier. Une bonne gifle d’eau froide sur le visage, tu t’es observé dans le miroir, ce qui t’as paru durer une éternité, ce n’était que quelques secondes avant que l’impatience ne vienne frapper à nouveau. Regardes toi, cet état déplorable. “C’était lequel le dernier qu’j’t’ai fait ?” Position du papillon sur ton lit tandis qu’il a pris place sur le siège situé dans le coin de la pièce. Sourcils froncés lorsque le bout de ton nez se dresse vers lui. Seth Cobalt, les années passent et pourtant certaines présences semblent rester à tes côtés. Nerveusement, parce que même si tu arrives à te concentrer, ton corps réclame ce réconfort de la cocaïne, tu fais valser le crayon entre tes doigts, tapote ton index sur ton genoux. Quelques gouttes de sueur glissent le long de tes tempes. “Parfois j’me dis que j’aurai dû être tatoueur, c’est bien mieux payé que ce que j’fais.” Un rictus sur le bord des lèvres, moqueur, si t’en es là, c’est uniquement parce que t’as fait les mauvais choix, pour t’en vouloir, y’a que toi.

Exeter et ses coins cosy.
Ses morceaux de paradis pour les fêlures sans ailes, aux gueules trop lourdes pour tenir sur les nuages.
Elle a tout des villes qui foutent leurs sales histoires sous le tapis, donnent des morceaux de rien en pâture à ses gamins.
Angleterre ou Chicago, même histoire.
Elles frapperont le pavé pour échapper au trottoir.

Ici, c'est pas si différent. Le lieu accueille tout pleins de vies qui n'ont pas trouvé leur place ailleurs, à peiner à payer les murs de chambres sans gain de sécurité pour autant. Je craque les marches du Shelby, comme on frappe à la porte d'un nouvel ami. Je connais pas tant que ça. Je visite. Y'a une âme en particulier qui m'intéresse, qui foutrait les foies à tout les fantômes de passage. Il a le regard qui fuit aussi facilement que ses jambes, quand on se chasse-croise-toise depuis un petit paquet d'années maintenant.
Le hasard a voulu qu'il bourlingue au même endroit que moi, c'te fois.
Encore.
Adone aux doigts d'or.
Trente ans, tronche de gosse encore.
Mais doué.
Indubitablement.
Trop con pour ne pas s'en ronger les sangs, aussi.

Le dessin d'encre à peau se mêlent bien sous ses mains. C'est tout ce qui restera de vrai, d'éternel, même quand les cellules seront pétries par le temps ou les balles.
J'lui ai laissé la primeur de quelques images qui me trottaient dans la cervelle. J'sais pas pourquoi.
Le courant est bien passé, à chaque fois.
A chaque putain de fois.
Et avec ces putain de fois, je l'ai vu, exorbité, à gratter, à grogner.
Adone a le mal de sa génération.
De la mienne aussi.
Celui des garçons en perdition, à penser que la poudre se fout dans le nez à défaut des yeux pour s'illusionner.
Pour oublier.

Si tu savais à quel point moi aussi, j'aimerais y arriver.

Aujourd'hui encore, on va se voir, et aujourd'hui encore, j'ai l'intuition que ça va pas me plaire tant que ça. Que j'apprécie vraiment un peu trop ce type pour supporter encore les conneries enneigées qui lui colorent le teint. Mais aujourd'hui encore, je fais mine de rien.
J'ai les bières en main et le sourire pavé de bonnes intentions.

Dans sa chambre, ça pue le frisson.

« La phrase sur mon bras gauche. C'était y'a même pas six mois mec, p'tain avec toi l’Alzheimer précoce c'est pas des craques hein. » Je fais moi, celui qui déconne. J'attrape une bouteille, avant de lui lancer une, jaugeant les réflexes en friche. La chaise à l'envers, le torse contre, je le fixe et cherche la franchise de son regard. Je sais pas encore si je vais la trouver.
Dans cet état, c'est dur de juger.

« Mouais. Apprends d'jà à plus trembler si tu veux pouvoir tenir une aiguille correctement... »

J'vois ça d'ici. Ses aiguilles secouées comme celles de sismographes. En haut, en bas, des pulsations de manque, des morsures-piquées dévorant sa volonté.
D'quoi faire reculer la clientèle comme jamais.

Mes yeux ne le quittent pas. Au fond, j'ai tellement pas de leçons à lui donner. Mais avec lui, c'est l'instinct qui parle, pas la raison.
Et j'ai colère en front, quand je peux pas m'empêcher de vouloir le sauver.
Probablement de lui-même, avant tout le reste.

« Hé, Adone. » Gorgée frelatée méritée. « T'as prévu un truc, c'soir ? Si oui, annule. J'te sors. »

Parce que tu peux te ruiner en silence p'tit,
Tu peux faire croire à tout le monde que tu peux t'en sortir tout seul,
Et que ta merde te va parfaitement comme ça.

A tout le monde ouais,

Mais pas à moi, Adone.

Pas à moi.