kings never die -- seth

18h30
Il attrape la télécommande et éteint la télévision. Pearl gigote dans le canapé et lui lance le même regard que sa mère lorsqu'elle était sur le point de piquer une crise.
Faut qu'tu te laves, Rocky va rentrer. Il m'a dit qu'tu t'amusais à lui balancer de l'eau à la figure quand y t'lavait. Elle éclate de rire.
On s'amuse bien avec Tonton.
Pas certain qu'il apprécie. Allez bouge, j'pas toute la nuit. Le bœuf s'approche de la gamine et l'attrape dans ses bras. Elle se débat mais il ne lui laisse pas le choix. Rex la met sur son épaule comme un sac à patates alors qu'elle hurle dans tout l'appartement comme s'il était sur le point de l'égorger.
Impassible, il la dépose dans la salle de bains, lui ôte ses vêtements avant de la plonger dans le bain bien chaud et plein de mousse.
Pas les cheveux.
Si, les ch'veux. Penche la tête.
Pas les cheveux, p'pa.
Commence pas, j'dois y aller.
Si elle parvient toujours à négocier avec Rocky, Pearl sent que son père n'est pas aussi facile à convaincre et se soumet à sa volonté. Eden est maladroit mais lui lave la tignasse en la faisant grimacer par moment.
Tu me tires les cheveux.
Si tu bougeais moins aussi.

19h00
Il bondit du canapé lorsque s'ouvre la porte et dégueule un Rocky qui ne comprend rien à la tornade qu'il se prend dans la tronche. Rex lui balance les chaussettes de Pearl.
P'tain t'es en retard. M'attends pas ce soir, j'ai un combat. J'ai pas eu l'temps de la faire bouffer. T'as qu'à commander mcdo.
D'habitude, il ne laisse pas le choix au gamin de l'accompagner mais la petite ne peut pas rester seule. L'animal se saisit de son sac de sport et le passe sur son épaule avant de descendre les étages de leur immeuble pourri de quelques enjambées pressées. A peine vient-il de passer le pas de la porte, qu'il sent déjà se déposer sur lui une seconde peau, plus épaisse, cette carapace qui faisait de lui un bon combattant autrefois et le pousse encore à se rendre dans l'arène même s'il est trop vieux et esquinté maintenant. Sur le chemin, il profite de courir pour préparer son corps au combat. Il a rien mangé pour éviter de tout vomir après l'effort. Eden combat le ventre vide pour se sentir moins lourd.

20h00
Seth est passé dans les vestiaires mais le bœuf ne lui a pas accordé un regard. Il évite toujours de se concentrer sur les types qui lui font face dans l'arène, encore plus lorsqu'il les connaît. Eden a besoin de se détacher émotionnellement pour être au maximum de ses capacités. Il prend une longue inspiration alors que Paddo lui bande les mains en lui donnant quelques conseils. Même après toutes ces années, tout bon combattant se doit d'écouter ceux que les autres ont à dire. Sans ça, il serait à la casse depuis bien longtemps. La large main de son ami se pose contre son crâne alors que leurs pupilles entrent en communion.
T'es un battant, un putain de battant.
La voix de Paddo lui donne de l'énergie alors que la bête se redresse, brutale et prête à en découdre. Il ne ressent pas la peur, seulement de l'excitation. Une agitation malsaine d'où naît toute sa force.

20h15
Il avait eu du mal à réaliser, absorbé par le combat et les coups que Seth lui mettait par la gueule. Les cris des public ne résonnaient plus et Paddo était arrivé sur le ring afin de les séparer. L'homme avait détalé alors qu'Eden avait mis un peu plus de temps, étourdi par l'adrénaline et la violence du combat. Il n'a pas eu le reflexe de fuir comme le font tous les types lorsque les flics débarquent. L'arcade ensanglantée lui floutait la vue mais il avait vu à travers le liquide rouge, Seth, terminer lui aussi avec les menottes autour des poignets.
Foutue ville.

20h50
On les a probablement enfermé tous les deux dans la même cellule dans l'espoir de les voir se foutre sur la gueule encore et encore. Peu de types dans les combats illégaux sont capables de s'entendre même en dehors de l'arène. Il y a cette fierté qui les empêche de se regarder droit dans les yeux et se serrer la main. Ce qui coule dans leurs veines n'est plus du sang mais de la lave à un certain stade.
Son visage déformé par les coups se tourne vers Seth tandis qu'il reste affalé sur le banc en fer de leur cellule.
Pas mal comme début d'soirée, hm ?
Rex lui adresse un sourire. Pas la première fois qu'il se retrouve là, comme un con. Généralement, ses potes se démerdent toujours pour venir le chercher. L'un d'eux est apparemment ami avec un des flics de ce poste. La vérité est qu'il lui refile seulement un peu de came en échange de sa liberté.
Eden grimace un peu, dénoue le bandage d'une de ses mains et plante ses doigts crasseux dans sa bouche pour en sortir un fragment de dent.
P'tain tu m'as pas loupé, tu m'as pété une dent. Ca le fait marrer, même s'il aura pas le fric de se payer le dentiste. Dans son malheur, il a au moins la chance d'avoir abîmé celle du bas. Il peut sourire sans que ce soit vraiment flagrant.
Pour couronner le tout, il a envie de pisser.

C'est l'histoire de Rex, le chien flic.
Ou pas vraiment, car les keufs, c'est lui qu'ils poursuivaient.
Avec moi flanqué sans laisse avec lui, à me marrer, le pif pissant tout ce qu'il pouvait.

Mais putain, quel pied.

Connaître ce mec m'a donner à cogner dans des pends de la ville que je soupçonnais même pas. J'm'en doutais un peu, cependant. Elles ont toutes, sans exception, cette couche de poussière en fine pellicule poisseuse qui s'étale dans les bas-quartiers, les ruelles malfamées, les lieux pas fréquentables. Rex, c'est mon guide dans tout ça, une rencontre providentielle dans des moments d'allégresse propres aux sales bêtes.
J'm'y reconnais plus que jamais.
J'ai toujours gravité dans ces cercles-là.

On peut croire que le trauma et l'armée m'auraient détourné de tout ça, et poussés à devenir plus calme, m'éloigner pour mon bien.

QUE DALLE !

On se refait pas.
On se refait jamais.
On cogne jusqu'à mêler les sangs. Les vrais pactes, ils sont là, signés à coups bien placés, des escarmouches en pattes de mouches, paraphes en pleine face.

C'est qu'en comprimant la cage thoracique qu'on la libère, et qu'on sait qu'on respire.
Pas autrement.

Les gnoufs sont à nous, à lui et moi, pour un temps défini par la rapidité du pognon de la caution. J'me fais pas un sang d'encre quant à l'efficacité d'mes boss de venir me tirer de là. C'est pas la première fois, et loin d'être la dernière.
Alors en attendant je profite du toit gratuit, et de la dureté bienvenue de la banquette de cellule sur laquelle j'suis étalé, bras croisés, derrière ma nuque qui pulse d'un pouls encore en ébullition.

C'était une si belle baston !

J'écoute mon adversaire à branlées automatiques commencer à causer. Ça me donne envie de rire, de fumer aussi. Mais j'ai fais tombé mes clopes dans ma courses, hm.

« Tu l'as dis, doggy. » Sourire extatique, un brin fatigué aussi, on va pas s'mentir. Ses bourre-gueules m'ont défoncé, même si j'me suis bien défendu. « Sans déc, t'as bouffé quoi avant d'venir ? Donne-moi ta dope la prochaine fois, t'frappais comme jamais t'as fais. »

Copain me parle de sa dent envolée vers d'autres cieux. Dans l'feu, j'me suis pas rendu compte pour le coup. Ben tant pis, j'suppose que c'est un juste retour des choses pour ma rotule à moitié déboîtée de l'autre fois. Un partout, la balle au centre.

« Euh. Oups  ? »
Même pas désolé, pas vraiment. Peut-être juste un peu, parce qu'un dentier à son âge, l'idée me fait gerber aussi. Tant piiis !
« Prochaine fois, j'te ferai l'autre côté pour égaliser, promis. »

Clin d'oeil de bâtard en goguette. J'baille comme un paresseux en vacances, m'étire de tout mon soul et finit par me tourner vers lui. Quitte à être coincé, autant tailler la bavette d'un bon steak.
Ca m'fait penser qu'avec tout ça, je crève la dalle.

« On a quelques heures à tuer, ma foi. T'as envie d'parler de quoi ? »