soft hearts, feeling the world's pain. (wilonah)

-- magic is an honor until it's a shackle

le parfum autour de lui est entêtant, l’odeur à la fois doux et écoeurante du parfum des vieilles dames. elle l’embaume, tandis qu’elle lui parle de feu son mari, caressant sa main délicatement, de la sienne, lourdement baguée. elle lui parle, et il l’écoute, attentivement, parce que c’est important, parce qu’elle ressemble à une ancienne comtesse. elle l’est sûrement, elle lui a dit, combien d’années elle est venue ici. elle est le témoin de la déchéance de l’hôtel, qui ne parvient pas à rester dans les demandes de son temps et de nouveaux riches toujours plus riches. c’est ce que son oncle lui dit en tout cas. il veut bien le croire, même si tous ces concepts sont si nouveaux. il sourit, signe quelques mots, la laissant à sa chambre avec tout ce dont elle a besoin chaque soir. elle lui répond, avec un sourire, des quelques mots qu’elle connaît.

en fermant la porte, son sourire tombe, momentanément.

il sent le chanel, il a le coeur qui se soulève, et les mains qui tremblent.

tous ses sens sont en alerte, il peut sentir les vêtements qui frottent contre son corps, le bruit, autour de lui, les mots qui tourbillonnent dans sa tête, l’odeur, le goût du parfum jusqu’à l’arrière de sa gorge.

trop.
trop.
t r o p.

il raccroche son uniforme dans son casier de métal. la température glacée le ramène un peu à lui, le calme, et la douceur de son pull le rassurent. l’odeur agréable et légère de la lavande dont il garde des brins dans ses tiroirs.

la nuit est tombée depuis longtemps sur la ville, mais la pollution des réverbères -grandes lucioles enfermées dans des bocaux de métal- et la fumée des voitures éloigne les étoiles tant et tant qu’elles ne sont plus visibles. même le ciel n’est plus le même désormais. tout a changé.

une vibration passe dans ses veines.

il marche, change de cap. il n’est plus en direction de sa chaumière d’intérieur, non, il ne sait pas où il va. vers le danger probablement. les mains adroites qui roulent l’herbe magique, pour essayer de ne pas prendre de risque, pour oublier la douleur qui cogne contre son crâne, pour oublier le bruit des voitures, des cris des gens, et des engueulades.

puis un dessin sur un mur.

il en fait presque tomber son filtre.

le trait, les images, la licorne.

et une ombre fuyante en haut du bâtiment, qui le toise, curieuse. il ne la laissera pas fuir. pas cette fois. plus jamais. la rage qui s’empare de lui. il allume son joint, se laisse emporter par les vapeurs, avant de monter le bâtiment. enfant sauvage ne perd pas ses griffes.

il n’a pas besoin de la voir pour sentir le fil du destin entre eux se relâcher, les deux rapprochés. il n’a pas besoin de la voir entièrement pour savoir que c’est elle.

”yonah.

qu’il dit, de sa voix rauque et maladroite. premier mot qu’il a appris seul. seul mot qui importe.

Ses yeux sont grands ouverts au-dessus du vide.
La ville constelle de millions de granulées d'or et de poussière.
Frémissements furtifs, alors qu'elle écoute, que son palpitant s'imbrique dans les poumons urbains.

Yonah veut savoir le Froid.

Elle ne porte rien que des toiles en mousses, des morceaux de Reine qu'elle lui a offert, cadeau inattendu de leur dernière entrevue. Elle a souri, si longtemps, si tendrement, Yonah garde les trésors d'autrui comme autant de perles à chérir. Ces étoffes légères, elle les a remodeler d'une image de boue. Debout. Des tâches et des fioritures, des éclats de peintures.

Dans les sombres couvents d'Exeter, Yonah est Sainte sous ses auspices de gloire éphémère,
Dans les yeux d'une Presque-Mère.

Jamais totalement prête à prier pour savoir comment l'atteindre,
Elle se contente d'invoquer chaque nouveau jour à passer pour la rencontrer.

Cette nuit, elle flotte.
Reste au-dessus du niveau de l'Amer.
Pour pister son envie d'écrire ses propres Fantaisies.

Elle est montée seule.
A graver sa carte dans les parois.
Des dessins
Des parties de soi
De soie
La peau poisseuse de fusain et de rêves.

Elle est montée toute seule.
S'est enchevêtrées entre la mousse et les caresses textiles,
Celles de la Reine ne sont pas si terribles.

Elle est montée éperdument seule,
A attendre et contempler,
Si ses messages sont parvenues malgré leurs contusions pleines d'aspérités,
Elle n'a pas besoin de héraut pour espérer.

Elle attend, juste et fébrile,
que quelqu'un les comprenne.
Et les transmette.
Et cette Nuit, c'est fabuleuse nuit, ponctuée de Fantasmagorie, une âme a trouvé l'écho inconnu pour y inscrire ses propres mémoires.

Où étais-tu ?
Je t'ai voulu
Si fort que je me demande encore si tu te souviens
Des mots-pleurs et des aigles moqueurs
Que nous chassions comme des songes.

Monte, mon frère.
Regarde moi.
Nous sommes là.
Nous serons tous.tes là
A nouveau.

Tu vois, tu me vois à travers mes mots ?
So wi lo.

Elle l'a écrit.
Dans leur langue à eux.
Dialecte sur briques qu'il monte comme un arbre cloué au sol.

En face d'elle il rayonne de cet instant, qui crépite au fond de la poitrine de la Fée-Enfant.
Ses perles se crèvent dans son regard clouté d'onyx. Personne d'autres que ses âmes-liées pour les supporter, lui et ses nuances noircies par la suie de la ville.

So

Wi

Lo.

Elle le fixe et sourit. Se jette en l'entendant, grognement si profond et si plein d'effort. Elle se sert, ne répond pas, se contente de tremper son haut-armure. Poupée molle dans des bras qu'elle se sait aimer. Où elle se sait rassurée.
Plus encore qu'entre ceux de Mama.
De monsieur Kahn.
De D.
De toutes les pages à peine effleurées.

Sowilo est son Conte.

Les Nuits Gris-Souris n'ont de Beau
Que les Parcelles Rongées de Fables que l'on y trouve.

Sowilo.
Prouve-moi que tu n'es pas un rêve
Dans ce cauchemar qui nous a séparé.

-- magic is an honor until it's a shackle

elle est là. devant lui, comme apportée par la brise nocturne, comme poussée par les ombres qui longent les murs et les bâtiments plus grands. dryade de cette forêt d’arbre en béton. il lit dans ses gestes, dans son silence, un millier de prières runiques. des mots qu’il connaît et reconnaît comme personne.

un geste, qu’il connaît par coeur.

perthro.

le cornet à dés, la prophétie, le hasard.

ansuz.

la rune du tout-voyant, celui qui tisse les liens entre les hommes, celui qui a lié entre elles les âmes de ces quatre enfants, qui leur a permis de grandir ensemble, de créer une famille, une qui ne les laisserait pas sur le bas-côté, qui ne les renierait jamais. une famille qui ne le voyait pas comme un enfant cassé, mais un gamin magique, capable d’entendre au delà de ce qu’écoutent les hommes. capable de comprendre les rumeurs cachées dans les gestes les plus anodins.

la bulle rouge qui l’accompagne, l’ombre qui s’est drapée à ses épaules, qu’il traîne avec lui, à chaque pas, comme une cape royale en hermine, semble enfin éclater, se déchirer. il a l’impression de voler lorsqu’elle se jette dans ses bras sans aucune peur e tomber à la renverse, sans peur de lui faire mal. et il la serre, le plus fort possible. parce qu’elle est là, la fée, la messagère de mama, et qu’elle n’a pas disparu sous les rubans de feu.
elle lui a tant manqué. son rire, qu’il sent contre sa poitrine, vibration d’ailes de papillons, lui rend le souffle qu’il avait abandonné en essayant de protéger ses adelphes. elle semble encore plus minuscule, sans ses longs cheveux, sans ses pâquerettes et ses bras peints de runes diverses. elle a des bandages, et des pansements, sorts en papier pour sa guérison. fragile, presque, lorsqu’il voit ses yeux cernés dans la pénombre, ses mains frêles et pâles.

un ensemble de gestes, exécutés avec une précision qu’on ne peut qu’appeler habitude. des mots très précis au travers de l’articulation de ses doigts, et surtout, une intention. devant ses yeux, plus claire que jamais. un charme de guérison, et un de bonheur. les mots de mama retranscrits dans une chorégraphie que seuls quatre enfants connaissent.

“yonah.” qu’il répète.

“tu es partie.”

et puis les mots disparaissent comme des songes, et la migraine revient, et la cape se raccroche, comme un parasite avide de le sucer jusqu’à la moelle, de ne rien laisser que sa carcasse, libre aux mouches de le terminer ou non. un voile se pose sur ses yeux, et le sang bout dans ses veines, et l’articulation disparaît et l’abeille coincée entre la racine et son oreille se remet à bourdonner.

“pourquoi tu n’es pas revenue ? pourquoi tu m’as laissé ? j’ai attendu, je t’ai laissé des mots, et tu n’es jamais venue. pourquoi personne n’est venu quand je vous ai appelés ? pourquoi vous m’avez tous laissé seul ? où sont les autres ?”

les questions se bousculent, les gestes sont saccadés, il ne peut accepter le sentiment de solitude qui lui dévore le coeur, un millier d’asticots dans son estomac, qui le remplissent de leur bave acide et amère de jalousie et de ressentiment et de colère. les araignées sous sa peau qui grouillent et qui le poussent à tirer sur son joint, un peu plus, pour tenter de les calmer, pour tenter de libérer l’abeille dans sa tête.

l’odeur qui lui rappelle le chanvre et le patchouli que mama dégageait.

la lavande de ses vêtements.

les bougies parfumées qui dansent la nuit dans son appartement, comme cent fées lumineuses vacillantes sous les courants d’air, priant autour de lui pour le protéger une nuit de plus des bâtons de feu.

“yonah, pourquoi je suis tout seul?”