A rose, by any other name || ft. Isla

L'espace s'engouffre autour d'elle.
Son poignet gratte.
Sa peau s'effrite.
Elle regarde le plâtre des murs comme on tendrait vers l'infini.

Le lieu est grand.
Elle l'a toujours su, presque prévu. La connaissance a besoin de place.
Les maîtres aussi. Les élèves peuvent boire les paroles en toute quiétude sans se noyer dans l'étroitesse d'esprit.
Elle a toujours aimé apprendre, Yonah. Toujours voulu savoir, encore plus, encore plus loin, mordre, déchirer les pages pour écrire les siennes.
Dessiner ses futurs incertains. Graver la magie dans les sillons des bâtiments nouveaux, dans les filins urbains du royaume d'Exeter.
Maintenant qu'elle est voyageuse des songes, hors des rêves élimés, elle se sent investit de missions nouvelles, de fantaisies à découvrir, à décomposer.
Cette école en est une.
Ses habitants aussi.
Elle ne les connaît que peu. N'ose pas leur parler. Se contente de les regarder. Un spectacle d'observation dont on la targue, dont on la frappe de mots durs parfois.
D'insultes qu'elle ne saisit pas.

« Tarée. » « Malade. » « Pouffiasse. »

Des choses qui sont remontées parfois aux oreilles de monsieur Kahn, et dont elle s'est sentie attristée. Pas par les mots en eux-mêmes, mais parce qu'ils ont éclaboussé son visage fatigué. Elle sait que monsieur Kahn a besoin de repos. Qu'à cause d'elle, les nuits sont trop longues, trop dangereuses, trop remplies parfois. Et que finalement, tout l'art de sa mission personnelle, sera de cesser de l'inquiéter outre-mesure. De noircir ses nuits blanches de charbon doux, comme celui qu'elle frotte sur le papier à grain de sa page à dessin.

Contre les marches d'un patio, un matin de cours, Yonah griffonne, façonne, étiole des formes longilignes sur son cahier, fumées de sa tête à peine cognée cette semaine. On lui a bien stipulé qu'elle n'avait pas le droit de faire la même chose sur la pierre des bâtiments, pourtant bien plus inspirants, bien plus grands. Elle s'est résolue à obéir, comme D. le lui a appris. C'est encore très difficile, encore aujourd'hui.
Encore à la minute où elle devrait être dans sa salle de classe et qu'elle préfère être ici.

Son petit nez s'enfuit de sa feuille quand elle voit un troupeau d'âmes passer près d'elle, en marche vers le globe-spectacle. Elle l'appelle ainsi, grande coupole pleine de sièges et de gens. Ça lui rappelle les théâtres de marionnettes qu'elle voyait dans ses livres d'images. Et ça l'intrigue, autant d'humains concentrés. L'espace a du bon, mais pas que. Elle veut se confronter à eux.

Elle suit donc, voit une grande lumière. Des places vides, qui n'attendent qu'elle pour grimper dans tout nouveau monde, qu'elle présume des plus fabuleux.
Prendre place et lever la tête.
Et voir la silhouette.
Voir la ligne longiligne, diaphane de ses dessins sombres, mais blanche, si blanche, creusée de sillons naturels, de fascination subite.

Yonah ne respire plus.
Ne serait-ce qu'une poignée de secondes.

Et elle écoute. Comme elle n'écoute que rarement. Elle ne comprend pas tout, mais s'abreuve des sons, des accents, de la sonorité des syllabes, des tournures de langue.
Et chaque échappée de la bouche de cette femme – de ce paysage – l'exulte d'une passion ivre, piquée, de l'enthousiasme d'une enfant allègre.

Elle a le cœur qui vague, trépigne de marées fendues, de tempêtes aguerries. Elle a bu la tasse. S'est noyée dans des torrents d'émois.

Elle est persuadée, face au Sublime, qu'elle vient de faire une découverte capitale.

On demande des questions, à la fin du discours. Mimétisme de camarades l'empêchant de hurler, son bras sans attelle vivifie l'air d'une vitesse folle, droit comme un piquet.

« Moi ! »

Voix d’aiguë qui frissonne. On l'autorise. Sourire d'innocence sur ses lèvres fines, ourlées de rire silencieux. Elle se lance, sans attendre plus longtemps, le regard éternellement franc.

« Est-ce que tu es une Reine ?? »

On chuchote dans son dos.
Les mêmes vilains mots.
Mais cette fois, elle n'entend pas.
Elle a cessé de les écouter à la seconde où elle l'a trouvée.

Parce qu'elles sont bien trop rares, les reines, pour être ignorées.

-- she grew flowers because she enjoyed watching them fade and die

glace.

le froid qui mord la peau, qui la marque de nouvelles blessures, plus éphémères. du violet surtout. transforme isla en alien mauve et bleue. la glace qui fait tout trembler dans son corps. le gel qui tue toutes les odeurs, toutes les peines, qui recouvre sa peau, ses muscles, ses os, son coeur.

plus rien.

juste le noir et le froid absolu, et le goût de l’absolut sur le bout des lèvres.

le froid qui la ramène à l’intérieur d’elle-même.

elle s’est encore perdue isla. hier soir, elle a vogué sur les rives du styx, y a plongé sans retenue, s’est disloquée dans le courant, au milieu des photos comme des souvenirs. elle a tout perdu une fois de plus. le visage maculé de griffures, la douleur endormie, pour essayer de cacher toute trace du temps qui passe. l’alcool qui coule encore dans ses veines, et l’odeur âcre des berges des enfers au fond de la gorge.

les fleurs d’asphodèle couvrent tout de leur parfum doucereux.

fantôme fané, elle émerge de sa baignoire, lentement, les mains tremblantes. l’air ne lui a jamais paru aussi chaud et sa vision n’a jamais été aussi claire. la salle de bains est un champ de bataille, grâce à dieu, elle a sa propre salle d’eau. personne n’a besoin de voir les cadavres de bouteille, et les flaques d’eau, au sol, glaçons fondus. ni les mains abîmées d’avoir cassé son verre -dont les débris jonchent encore un coin de la pièce. elle s’observe.

perséphone a déjà vu trop de printemps. l’hiver s’est installé sur ses traits fins et androgynes.

elle a perdu.

la pensée est à peine effleurée que déjà, elle a trop mal. mal d’être vide, mal d’être personne, mal d’avoir encore tout perdu. les coutures mal finies de son être sont prêtes à voler en éclats de nouveau, tendues par le xanax au creux de sa main. elle avale la pilule sans y penser, une rasade de vodka pour tout faire descendre.

l’été se réveille, dans sa gorge, dans son coeur. comme un rôle qu’elle maîtriserait à la perfection, ses traits s’adoucissent, son regard se fait digne, presque tendre. ses lèvres s’ourlent d’un sourire en coin un peu moqueur, tandis que ses mains s’activent dans une chorégraphie complexe, pour nouer ses cheveux encore humides dans un chignon serré et stylisé. elle compose son visage, le peint de multiples couches, pour paraître celle qu’elle a toujours été, appliquant au dernier moment une teinte presque pêche de rouge à lèvres. c’est un style qu’elle maîtrise parfaitement, qui est devenue sa signature au fil des ans, si bien que chaque fois tout le monde pense qu’elle a coupé sa longue tignasse. mais rien de tout ça. une femme élégante porte ses cheveux longs.

elle enfile sa tenue sobre sur sa peau encore humide, tandis que des gouttes roulent le long de ses courbes et se perdent dans les étoffes. elle n’a pas de temps à perdre. se laisser porter par les flots alors qu’elle est censée donner une conférence et inaugurer toute une exposition rétrospective sur son travail le lendemain n’était pas une bonne idée. mais après tout, cela fait un bout de temps désormais, qu’elle n’a plus d’idées. valise en main, prête à montrer des choses encore jamais vues, des pièces d’il y a vingt ans qui n’ont jamais trouvé leur place dans une collection, ses talons claquent jusqu’au taxi, puis jusqu’à l’université.

elle s’installe, offre un regard circulaire aux étudiants suspendus à ses lèvres. une conférence de presse pour néophytes. elle s’y sent comme un poisson dans l’eau.

et les images du styx ne peuvent pas la perturber, trop haute, perchée sur ses talons hauts, tandis que ses mains effleurent les soieries de ces bijoux précieux. elle explique, son processus créatif, ses collections. allume une clope, empalée au bout du porte cigarette malgré l’interdiction formelle de fumer. un regard complice au directeur de la section, la promesse que rien ne sera dit. une main discrète qui dépose un cendrier en acier sur son pupitre, et les lèvres des étudiants qui bruissent de questions muettes.

une main.

scindant la masse, droite, assurée, doigt du savoir en l’air.

et cette question, unique, innocente. elle la cherche des yeux, la savante incongrue, dans cette foule de regards ambitieux. la trouve. un regard. une étincelle. quelque chose qui s’agite dans les tréfonds des marées de pétrole.

dans la suprise, l’accent qui ressurgit, qui transforme les inflexions habituellement lancinantes de sa voix.

“une reine? si je le suis, seulement pour les fées qui confectionnent toutes ces merveilles.”

elle répond, isla, avec tout autant d’assurance, et un humour timide, pas sûre d’être prise au sérieux par cette étudiante si étrange. irréelle.

millepertuis dans un océan de bitume.

A la réponse, des palpitations.
Des tambours de guerre infiltrant le portail d'une poitrine soulevée,
Par les élans de fête terriblement endiablées.

Yonah a le sourire franc, toujours plein, constellé de morceaux de curiosité qui ne demandent qu'à s'exprimer.

Elle n'y croit, pas tout de suite. La Dame-Lumière a daigné lui donné une bribe de parole, à elle, toute petite. A elle, plus que des mots encore, mais quelque chose qu'elle pourra tisser entre ses doigts fins et noués dans ses souvenirs les plus précieux. Au milieu des chants de forêts et des embrassades de ses âmes-liées.
Quelque chose qui parle de fées.

A la mention, une expression.
Une de celles qu'elle emploie qu'elle a trouvé quelqu'un qui ressent la même connexion.
Une énergie similaire.
Des paroles souveraines,
Dans la bouche d'une reine.

Elle ne peut pas en rester simplement là. Elle ne peut pas demeurer aussi sage que les Maîtres ou Monsieur Kahn le voudrait. Les humains demeurent assis, mais les fées, elles, volent.

Sa gorge s'ourle d'un gloussement gracieux. Trépignant sur sa chaise comme un jouet à ressors, elle se sent prête à bondir, le cœur exalté d'un millier de sentiments percutants.

« Des fées ??! Vraiment ?! »

Sa voix supporte les bruissements dans son dos, les chuchotements inquiets, mal-aimés, malmenés.
Elle n'écoute pas.
N'écoute plus.
N'écoutera jamais plus.

Sans attendre plus encore, incapable de plus d'efforts, ses pieds battent l'air et elle délaisse son siège trop tangible. Le carnet tombe au sol dans un fracas de pages. Les traits griffons ne sont plus rien pour celle qui a trouvé bien mieux, bien plus harmonieux.
De jambes en sauts, elle rejoint l'estrade, le point blanc en mire de ses yeux chauds.
De son sourire inaltérable.

Trop heureuse qu'est l'enfant,
De retrouver un peu de magie dans l'espace.
Va, valse ! Va la rejoindre !
Lui souffle-t-on.

Si proche désormais, ses mains ses plaquent sur la table, renversent un verre d'eau donné par l'un des sujets de la reine. Gouttes sur ses chaussures dont elle n'a que faire. Elle ne fait que la fixer. Elle. Et débiter toujours plus, autorisée désormais.

« Tu as des sujets fées, la Reine ! Mais c'est incroyable !! Tu connais celles des plaines d'Elidor ?! Moi j'en ai déjà vue une, tu sais, c'était il y a trois, ou quatre saisons ? Peut-être plus ! Mais tu sais, elles sont extrêmement rares et timides alors je peux déjà m'estimer très chanceuse de l'avoir aperçue ! Et puis-
- Mademoiselle, calmez-vous ! Veuillez descendre ! »

On lui attrape le poignet. Le fragilisé. Elle ne cille pas, pas tout de suite, coupée si soudainement qu'il lui faut du temps pour réaliser.
Elle finit cependant par tourner son visage vers le Grand qui l'incommode. Il a des verres noirs sur les yeux. Un fil dans l'oreille. Il n'est pas humain, non non non.

« Vous n'avez pas le droit de-
- Silence, le Troll ! Je parle avec la Reine !! Moi d'abord, tu attends ton tour ! »

Son ton est implacable, ses traits boudeurs et vexés. Yonah a tendu son index pour lui repousser le nez, pour user de sa menue force pour se dégager.
Une part d'elle observe sa prise, intriguée.
Serre plus fort, qu'elle chuchote.
Lâche-moi donc, qu'elle crie.

« Arrête de m'embêter ! Retourne dans ta caverne manger des asticots !! »

-- she grew flowers because she enjoyed watching them fade and die

la gamine semble immense, elle trône depuis son promontoir, perchée là haut comme un oiseau. oui, sans aucun doute, elle est ce genre de petit moineau, capable de parcourir la terre entière en quelques battements d’aile, sans jamais se fatiguer. elle tient dans ses mots quelques univers, rien que ça, et les offre, en un sourire, sans imaginer un seul instant ce qu’elle fait à isla. isla, la reine de glace, perséphone retenue en otage, forcée à régner sur une vaste plaine de rien, de désolation, sur le champ d’une bataille terminée il y a des siècles.

tressautements dans le coeur.

la gamine court et vole, jusqu’à elle, comme si les chaînes qui la tenaient en place jusque là avaient fini par voler en éclats. elle court, libérée, et sous ses pieds menus, poussent les fleurs d’un premier printemps. ses mains qui se posent sur le pupitre, qui font tout valser. et les yeux d’isla qui ne lâchent plus l’enfant des yeux, incapable, apeurée de prendre le risque que la nymphe s’évapore. dans son sourire une parade enfantine qui résonne jusque dans le tréfonds du vieil amphithéâtre.

des mots étranges qui passent les lèvres délicates, comme un langage ancien dont isla aurait perdu la maîtrise depuis le temps. quelque chose qui se serre en elle. un saphir qu’elle cherchait depuis tant de temps, sans le savoir, juste là, à portée de main, perdu au fond des yeux brillants de la gamine.

le “tu” qui lui semble si facile, le “tu” qui tue un peu plus le dragon en elle, à chacun de ces mots interdits, comme des promesses d’un autre monde, plus beau, plus fleuri, au milieu du béton et du ciment, une pâquerette qui pousse au milieu de pavés. et avant même qu’elle puisse articuler une réponse, l’homme qui attrape la gamine, brusquement, par son poignet visiblement blessé. qui la fait descendre. qui capture le soleil et replonge isla dans l’ombre.

mais elle ne peut plus revenir comme avant, c’est impossible, le dragon est mort et gît au fond de ses entrailles, poussant son dernier soupir enflammé. alors, sans se presser, sans s’énerver, elle s’approche, le souffle chargé de la fumée toxique, qu’elle souffle sur le garde du corps trop zélé.

“relâchez-la. elle ne fait rien de mal, me semble-t-il. et vous lui faites mal.”

une prestance de reine. elle sauvera l’enfant du Troll. elle ne le laissera pas lui prendre ce bijou précieux et incongru. non. pas tout de suite. pas tant qu’elle n’aura pas sondé jusque dans les tréfonds de son âme, pas tant qu’elle n’aura pas pu prendre le saphir et le tenir entre ses doigts, jusqu’à s’en brûler la pulpe. elle attrape l’étudiante par la taille, la guide dehors, oubliant tous les élèves, laissant là bas son sac, ses pilules et ses croquis. l’emmène dehors, prendre l’air, pour mieux la garder tout contre elle, et sentir son palpitant, qui bat, si fort.

elle dégage une chaleur qu’isla n’avait jamais sentie avant. son coeur de moineau qui s’emballe.

un sourire doux, un sourire de reine.

“il ne t’a pas blessé j’espère? c’était très malpoli de sa part de t’interrompre. je ne pense pas que ce soit de vraies fées cependant, même si leur travail est tout aussi minutieux. ce sont elles qui brodent l’or sur les robes que j’imagine, ce sont elles qui font de mes rêves une réalité. elles n’ont pas d’ailes, et ne ressemblent certainement pas à celle- d’Elibor, tu disais? mais elles seraient tout aussi heureuses de te rencontrer.”

les mots sont pleins d’une chaleur, comme une rivière qui se serait trop longtemps prélassée sous les rayons, un après-midi d’été. des paroles tendres, qui quittent les lèvres de la reine, comme des papillons, pour se oser en couronne autour de la jeune femme.

“ne laisse jamais les Trolls ou les pirates t’attraper, ils essaieraient de te mettre en cage, moineau.”

Elle est impériale.
Dans les halo hétérogènes, elle se lève et rayonne, rabat la créature d'une voix chaude de symboles runiques.
Yonah les observe.
Pénétrer l'air comme on laisse la trace d'un passage, d'un sort, d'un mirage.
Elle fixe la Reine d'une fascination subite, incapable de parler, incapable de bouger, même lorsque le monstre des cavernes daigne lâcher son poignet.
Elle se sent minuscule.
Si petite elfe, fée particule de Rien face à la Grandeur.
C'est presque sous un soubresaut bien heureux qu'elle relève les yeux quand elle touche sa présence à elle, qu'elle la voit, qu'elle l'emporte, corrobore ses dires au-milieu de ses sujets.

Yonah rougit.
Elle sent le sang monter, déborde dans les capillaires toutes prêtes à s'en dilater, à meurtrir ses joues de chiffon.

Elle écoute comme on laisse une brise faire frémir les arbres, les chants de l'herbe, les champs de forêt jusque là inanimées.

Mama avait ce pouvoir.

Est-ce que la Reine la connaissait ?

Est-ce que peut-être... ?

Soleil.

Sa cornée se raye de rayons puissants. Ils viennent frôler ses bras d'une sensation de picotement. On dit que l'Hiver s'efface petit à petit, laisse au cœur le temps de bourgeonner aux effluves du Printemps rampant lentement.
Yonah sent déjà une fleur prendre son cour au creux de son cœur, tige blanche et longiligne qui se tourne vers la Lumière.

Femme Tournesol.

C'est ainsi que sera sa Reine.

« Il ne peut pas me faire Mal. » Son ton tombe comme un poids, du lourd de sa poitrine menue. Elle tourne son regard vers le blanc du ciel, dardant le bleu éclatant. « Eligor, Reine, Eligor. C'est une contrée entre Alöndell et Cerf-En-Bois, de l'autre côté du pays des Preux. » Ses évidences ne sont que pitreries pour les profanes, une carte d'étoiles à découvrir pour Elle, et peut-être d'autres spectateurs de sa réalité à venir.
« J'aimerais bien voir tes fées, un jour. Elles ressemblent, de ce que tu dis, à celles qui ont choisi la caste d'Ouvrières. Les abeilles leur ont tout appris. »

Elle se pose sans ailes, elle aussi, dans le vert tendre de rosée fraîche. Sa jupe sans forme se tâche et elle ouvre son carnet, sur ses genoux cagneux.

Des effusions de charbon, de couleurs indistinctes, de nuances d'un autre âge, tout ici consigné sous un sourire de petite fille en bord de rêve.

« Regarde. » Elle lui montre, candide espièglerie. « Ce ne sont pas les mêmes, mais celles d'Eligor, elles, dés qu'on arrive à attirer leur attention... elles adorent poser. »

Formes éthérées, étirées, sur des pages et des pages de bout d'imagination constellé de Trop Vrai. De féerie à partager.
Elle veut que son Tournesol la comprenne.

Elle doit savoir, elle,
Elle qui possède tant de magie dans la Voix.

« J'aime pas les cages... »

Son expression s'alourdit à nouveau, tandis que son dos, planche un brin vermoulue, tombe contre le sol humide. Allongée, elle observe les livres cotonneux tourner une à une les histoires des astres disparus. Les nuages vaporeux, aux formes toujours éloquentes.

« Tu t'es déjà sentie enfermée, Reine ? »

Dis-moi.
Dis-moi ce que ressent Mama.
Toi, si pareille.

-- she grew flowers because she enjoyed watching them fade and die

les abeilles, cerf-en-bois, des fées et des tournesols.

la reine des fantômes peut les voir, presque, les sent réchauffer sa peau, dresser les poils blonds de ses bras, elle semble se souvenir de cette époque où elle n’était que koré, la jeune fille. où ses pas nus se perdaient dans les herbes hautes et les fleurs sauvages. ce nom, c’est la princesse féérique qui semble en avoir hérité, ses cheveux couronnés de jeunes fleurs.

elle semble être la fille d’ostara, entourée d’une myriade d’oeufs multicolores, prêts à éclore, à mettre au jour un millier de printemps réconfortants. les bougies qui semblent danser dans ses yeux ne sont pas moins vives que l’éclat du soleil sur les vagues. pas moins vives que les étoiles filantes dans le ciel d’août.

et Reine le mot qui coule le long de ses lèvres comme une cuillère de miel, douce et sirupeuse, si sucrée.

dans les recoins de cette nouvelle clairière intérieure, une ombre danse, avide et timide.

noire comme le graphite qui s’étend sur des pages et des pages du carnet tendu. de multiples croquis de petits êtres, humanoïdes ou non, une précision certaine dans le tracé de leurs ailes d’insectes. une main qui se glisse dans les cheveux courts, couleur charbon, comme pour essayer de mieux la saisir, de mieux la comprendre, de connaître son histoire, de la racine à la pointe.

geste presque maternel, définitivement délicat, presque trop doux.

longue hallucination qui semble s’étendre l’infini, adoucie encore par les médicaments et l’alcool qui pompe dans son sang. le coeur d’isla se gonfle d’adoration pour cette fille de mythes, ct être pas tout à fait réel, aussi insaisissable qu’un nuage à la forme intrigante. et soudainement, la question qui efface tout. le songe se dissipe et le champ de fleurs redevient un champ de ruines.

si elle s’est déjà sentie enfermée ? elle a passé sa vie enfermée, à tenter de défaire les barreaux de sa cage, à tenter de les tordre dans tous les sens. elle a abandonné, il y a quelques années, elle s’est résignée à attendre la fin de sa peine, tapie dans un coin de sa cellule, a même abandonné l’idée de marquer les jours. elle ne sait plus depuis combien de temps elle est là, et peu à peu la force de combattre se dissipe.

“tous les jours. il y a bien des choses qui m’enferment, de multiples cages aux barreaux tous plus solides les uns que les autres. il n’y a que pendant quelques années que j'ai été vraiment libre, et encore, les barreaux étaient juste invisibles. un peu comme une cage vitrée, dans un zoo ou une animalerie. ça ne ressemble pas à une cellule, mais personne ne pourra jamais croire que c’est une vaste prairie.

les doigts qui lâchent ses cheveux, qui laissent l’histoire là où elle est, comme un marque-page au milieu d’un chapitre. les mots bleu ciel, les maux rouge-gorge. la joue qui fait mal malgré le maquillage, malgré la cendre sur sa joue et celle sous ses pieds. les coups qui ne s’adoucissent pas avec le temps. isla est peut-être simplement un barreau dans la cage d’archie, qu’il voudrait tordre pour pouvoir s’enfuir.

“est-ce que tu voudrais connaître un secret, pour pouvoir t’envoler comme les fées d’Eligor, princesse? t’envoler au-dessus des cages et être toujours libre, peu importe ta situation, peu importe où tu te trouves ? même quand tu ne peux pas sortir de chez toi?”