walk walk fashion baby (tessa)

-- don't dress to kill, dress to survive

des ragots, il y en a toujours. surtout dans une ville comme exeter. petite ville, en perte de vitesse depuis les grandes délocalisations massives des industries du textile vers l’étranger, c’est le nid parfait pour toutes les vipères existantes. mais pire qu’exeter, il y a le monde de la mode.

impitoyable, et aussi froid que le flash des appareils photos. un monde qui vous plante ses crocs, et aspire tout, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de vous, jusqu’à ce que vous ne soyez plus digne d’intérêt, et passe à autre chose. quelque chose de plus neuf, de plus jeune, de plus avant-garde encore que la dernière fois.

il faut toujours surprendre, aller là où personne ne s’attend, quitte à se mettre la critique à dos. parce que le vulgaire fonctionne, mais l’outrageant reste en tête. parce que sur les tabloïds et les revues de mode qui maculent son établi, isla relit les mots déchirés de ses admirateurs et détracteurs ne sachant plus où donner de la tête. “c’est l’église qui rencontre la gay pride”. son index verni posé au-dessus des mots acerbes, un sourire se dessine sur son visage. elle aime bien cette critique-la, décide-t-elle. elle la découpe, consciencieusement, et la range dans son cahier, pour la coller plus tard.

se sert un autre verre.

s’enfonce plus profondément dans sa bergère.

une revue plus récente et moins connue en main, elle regarde quels sont les nouveaux noms, les gens à suivre, ceux auprès de qui il faudrait ne surtout pas être vue, ceux qui seront oubliés dans quelques fashion weeks. au milieu des pages, une silhouette. toute en courbes, un regard charmeur, le visage à demi cachée par les larges feuilles d’une plante luxuriante. un visage qu’elle reconnaîtrait entre mille.

le visage qui a porté ses dernières grandes pièces.

un fiasco total.

elle se souvient parfaitement de cette année entière, à travailler avec elle, à lui offrir des robes, les faire pour elle, pour son corps, pour son regard. parce que ces robes devaient être comme une seconde peau. ces robes étaient la vitrine vers son âme, directement. ses défilés étaient une couronne, et tessa était chaque diamant qui la composait. une année entière à faire de cette mannequin plus vraiment débutante, une vraie femme assurée, prête à défiler pour les plus grands et à faire les couvertures de vogue. à lui créer la parfaite carapace pour les critiques qui viendraient. à la former. la rendre plus forte, plus belle encore. plus sienne.

et puis un jour, plus rien.

plus aucune trace, impossible de la joindre. un fiasco total, la déchéance. plus rien. un grand trou noir. aucune mannequin n’a su, après elle, porter ces hybrides mi-robes, mi-architectures, mi-xénomorphes. Aucune n’avait les épaules, la carrure, ou le regard droit et fier de tessa. toutes paraissaient fades, et incapables de supporter la pression. les gens se sont faits moins nombreux aux défilés. les critiques de plus en plus rares. on n’a pas sali le nom d’abernethy, et de nombreuses personnes foulent les portes de ses bureaux en espérant un jour rentrer dans ses rangs. juste, le silence. l’oubli lent.

le verre manque d’éclater dans sa main, se contentant de se fissurer. isla le repose. termine l’article.

merde.

tessa est à exeter. elle a ouvert une boutique au sein même de la ville. sa propre collection.

un pieu dans le coeur.

alors elle se met à travailler. range son atelier, passe en revue tout ce qui s’y trouve, découpe et colle des échantillons, reprend des croquis, les améliore. une soudaine étincelle de créativité, d’envie, de hargne. l’ambition sera toujours son poison de choix. elle a soudainement l’impression qu’elle peut la retrouver. qu’elle peut avoir tessa à ses pieds de nouveau. elle a une seconde chance. sa carrière peut reprendre son souffle et elle en a besoin. elle y passe la nuit entière, troquant ses habituels anxiolytiques contre d’autres médicaments. plus efficaces. plus excitants.

le soleil perce les grandes baies vitrées de l’atelier.

se pose sur le chaos qui s’y trouve. tout est calme. tout est serein. isla marche dans les rues d’exeter, pochette sous le bras, porte-cigarette aux lèvres. son kimono jaune et noir battant ontre ses mollets à chacun de ses pas. ses longs cheveux sont désordonnés, de cette manière qu’elle affectionne tant, tandis que ses yeux perçants se posent sur la boutique.

non fumeur.

hm.

dommage.

elle entre.

-- don't dress to kill, dress to survive

la voix sèche, les yeux écarquillés, soudainement, isla se sent ivre de tant de pouvoir. elle avait oublié, cela faisait si longtemps qu’elle n’était pas revenue dans ses bureaux de londres, et ici, dans ce trou à rats, dans cette prison bitume, seule tess pouvait lui redonner cette sensation enivrante de toute puissance. cette possibilité de créer comme de détruire, ce droit de vie et de mot sur les autres. alors elle lui offre son sourire le plus mondain, tirant sur son porte cigarettes, les bras s’ouvrant pour une étreinte que personne n’a demandé. ce sont les us et coutumes de leur milieu après tout, ces effusions hypocrites, ces embrassades fausses, qui laissent une sensation collante et désagréable sur la peau.

”ma chérie tu m’as tellement manqué !”

elle claque une bise bruyante, extravagante, tout autant que son kimono, et lui souffle toutes les félicitations qu’elle ne pense pas quant au lancement de sa marque. enfin, elle se permet de jeter un regard aux alentours. il faut dire que la variété est immense, en tailles, en couleurs, tout dans la plus grande délicatesse. pas besoin de s’approcher pour noter des finitions impeccables, et au fond d’elle, isla bout de rage. de jalousie. l'ambition. elle voudrait rappeler à cette impertinente, d’où elle vient. qui l’a faite de toutes pièces, qui lui a donné ce nom dans la mode. elle sait que la mioche s’est faite en grande partie elle-même, mais elle n’aurait pas pu avoir ce retentissement sans l’apprentissage qu’elle lui a donné pendant une année entière. elle passe au milieu des rayons, inspecte tout, ans prendre un seul instant la peine de répondre à sa question. isla n’est pas là pour répondre à des questions.

elle est là pour récupérer ce qui lui appartient.

sa modèle. sa création.

sa chose.

”les dentelles sont formidables, darling, vraiment, quand j’ai vu ton interview, et les photographies de ta première collection, j’ai pas pu m’en empêcher, il fallait que je vienne t voir. ça a déclenché chez moi une fièvre créatrice, te voir si heureuse sur ces photographies, c’était un vrai bonheur.”

le piège est mis en place, tendu prêt à se refermer sur tessa. elle l’aura, en utilisant les pires moyens à sa disposition. en utilisant cette confiance nouvellement retrouvée, cette positivité, et l’engagement de sa marque. la nouvelle génération contre l’ancienne, isla n’aime pas cette vague de renouveau, elle ne se retrouve pas dans les nouvelles silhouettes que proposent ces marques toutes jeunes. ça ne prendra jamais. mais peu importe elle pet faire semblant le temps de planter ses crocs de nouveau, assez fermement pour ne pas la laisser partir. sans trop demander l’autorisation, elle ouvre sa pochette à dessin, laissant s’échapper les nombreuses planches, complexes, fournies de croquis, de légendes explicatives, d’essais de couleurs, d’échantillons de matières.

“j’étais morte d’inquiétude, love, quand tu es partie comme ça, sans prévenir. j’ai eu peur que quelque chose te soit arrivée, je suis soulagée de voir que tu vas bien, et que tu t’épanouis. j’ai toujours senti que tu étais faite pour ce milieu là.”

son sourire est sincère, tout autant que les croquis qui s’étalent sur le comptoir de vente. elle ne veut pas entièrement la détruire. elle veut juste retrouver ce qu’elle a perdu.