let's get this party started - icare

« T'es la seule personne que je connais, tu peux pas me faire ça ! » L'éclat de rire s'étiole entre eux alors qu'il se rend compte du sérieux de la protestation et qu'il soupire lourdement. « Tu exagères. De toute façon, je travaille ! » Moira fait la moue, se laisse tomber sur l'un des fauteuils de la librairie, destinés aux lecteurs. « J'ai pas envie d'y aller toute seule ! Tu pourrais pas demander à ce qu'on te remplace ? Je sais pas, moi, dis que t'es malade ? » « Je remplace déjà un gars, il va me tuer si je change d'avis à la dernière minute. » Cette fois, la jeune fille soupire et laisse tomber sa tête vers l'arrière en signe de désespoir, telle une parfaite petite comédienne.

Tous les employés de la librairie qu'elle a intégrée deux semaines auparavant ont été conviés à une soirée précédée d'un cocktail dinatoire afin de célébrer comme il se doit les fêtes de fin d'année. Si la jeune fille a pu parler à quelques personnes depuis son arrivée, un début d'amitié semble s'être ficelé entre Aaron et elle, probablement parce qu'ils se sont souvent retrouvés à ranger ensemble les livres déplacés et qui n'ont pas été achetés dans les étagères après la fermeture de la boutique.

Aaron plisse légèrement le nez lorsque la gamine pose sur lui des yeux faussement humidifiés, lève les yeux au ciel alors qu'il glisse une main dans la poche arrière de son jean afin d'y dénicher son téléphone.

« Tu sais quoi ? J'ai un ami qui serait heureux de t'accompagner. Il adore ces soirées-là et il te plaira, je suis sûr. » Sceptique, Moira arque un sourcil, mais la photo de l'ami en question suffit à la convaincre et elle retrouve un peu de sa bonne humeur. « Tu lui demanderas ? » Aaron pianote quelques secondes sur le clavier de son téléphone avant de lui offrir un large sourire. « Déjà fait. Je lui ai dit que tu étais la fille la plus belle et la plus gentille de la ville, me fais pas honte, s'il te plaît. » « De la ville ? » gronde-t-elle, faussement vexée, avant de se relever de son fauteuil et de poser un baiser sur sa joue. « Merci ! » Le bruit d'une notification la fait soudain sautiller alors qu'elle regarde par-dessus l'épaule de son collègue afin de lire la réponse qu'il vient tout juste de recevoir. « Icare. C'est joli. » « Arrête de faire ça ! » L'irlandaise lui offre un sourire navré, recule d'un pas afin de se montrer un peu plus respectueuse de son espace personnel, le fixe néanmoins sans pudeur aucune dans l'attente d'une réponse.

« Il est partant. Je vais lui envoyer tous les détails et l'heure à laquelle il doit te rejoindre. À l'avenir, appelez-moi Cupidon. »

Aaron rigole et ébouriffe d'une main les cheveux de la blonde avant de quitter la librairie.

Ce n'est que quelques jours plus tard, élégamment vêtue, que la jeune fille rejoint l'hôtel du centre-ville où une petite salle a été réservée pour les employés de la librairie. Puisque la température se veut clémente, Moira décide d'attendre son nouvel ami à l'extérieur du bâtiment, manteau posé sur ses épaules, mais ouvert sur une mince écharpe alors qu'elle pianote sur son téléphone, relève la tête afin de jauger d'un regard vif les nouveaux arrivants.

Elle le reconnait tout de suite lorsqu'il s'avance vers elle, sourit lorsqu'il suscite plusieurs regards admiratifs. Il faut dire que sa tenue est impeccable et qu'il semble tout droit sorti d'un film. Tactile, la jeune fille s'avance et glisse une main sur son épaule pour déposer sur sa joue un baiser, sourire aux lèvres, prunelles pétillantes à l'idée de cette soirée qui s'annonce.

« J'espère que tu aimes bien juger les gens que tu ne connais pas, c'est mon activité favorite dans ce genre d'événement ! » Sourire espiègle aux lèvres, elle attrape sa main pour l'entraîner à sa suite. « Il y a même du champagne. » Lorsqu'elle se retourne vers lui, c'est pour se mettre sur la pointe des pieds et glisser quelques mots à son oreille. « Tu vois, la femme, là-bas ? Elle a l'air pressée de rentrer et elle regarde autour d'elle, je pense que l'homme qui est à son bras n'est pas son mari. » Moira plisse légèrement le nez en une adorable moue, visiblement amusée. « J'aime beaucoup ton prénom, au fait. » lance-t-elle joyeusement avant de récupérer deux flûtes de champagne sur un plateau et de lui en tendre une.

let's get this party started
moira & icare

C’est le solo de saxophone maintenant, et toi tu chantes, tu replies tes lèvres qui épousent l'embouchure imaginaire et tu piailles comme un canard, tes hanches jouent avec l’espace qui te chauffe, te voilà sur le lit, la percussion dans les mains à présent, tu t’assieds et te cambres, allonges tes jambes, créature magique que tu es volant déjà vers la cuisine oiseau divin léger les plumes multicolores, tu as brûlé tes pâtes Icare.

C’était donc cela, la fumée.

Tu ris de ta crétinerie et tu te sens un peu bête, mais la musique continue d’entraîner ton corps, gauche droite gauche droite, la poêle dans les mains, il n’y a plus de sauce dans l’assiette, kshhh l’eau sur l’huile encore brûlante, ohhhhh yeah, yeah, oh, oh, you want the young american !

Ton palais est insensible au goût du brulé, tu savoures ton dîner comme le caviar d’un roi. Des pâtes roulées dans du caviar. L’orchestre du philarmonique dans tes oreilles. Est-ce que le philarmonique n’aurait pas un peu trop de violons pour ces sonorités de funk ? Peut-être qu'avec une corde chacun...

Sms. C’est Aaron, ton cœur fait un bond. Tu adores Aaron. Il est l’un des premiers à t’avoir accueilli à Exeter ; il t’a fait rencontrer ses amis ; c’est un peu grâce à lui que tu as connu Roxanne. Tu peux dire, sans crainte, sans ta tendance hyperbolique légendaire, que tu lui dois la vie et que tu es son honorable serviteur jusqu'à la fin de tes jours. Tu lis :

Chaud pour accompagner
la nana la plus jolie et cool
de la ville à une soirée ?
Me remercie pas hahaha.
En vrai accepte stp sinon
elle va me castrer.

Tu réponds :

À ta rescousse mon
ami !

On ne plaisante pas avec ces affaires-là, le sexe, les sous-sexes, toutes les choses qui pendouillent – même le contenu de ton assiette en tremble, même sur le point du non-retour. Tu ressens un moment de pitié pour tes petites pâtettes puis les avale tout rond, une par une, en tentant de ne pas penser à l’horrible destin que leurs réserve ton estomac et en t’excusant, à chaque bouchée, pour ton appétit gargantuesque. Tu n’as pas mangé hier et tu ne mangeras pas demain. Elles doivent te pardonner leur fin, ta faim.

࿐ ࿔ ———————————————

L’hôtel du centre-ville se présente bien. Au fur et à mesure que tu avances, tu vois les visages se dessiner sur les tâches de couleurs, bleues, violettes, vertes, blanches et noires. Aaron t’a débriefé sur la soirée et tu t’es habillé en conséquence, veston et chaussures cirées sur le fond de ta chemise immaculée, en soie, sous couvert de ton costume azuré Louis bling bling Vuitton. Tu marches et tu ne connais pas le brouillard. Aujourd’hui, tu n’es pas Edward-Louis, ce cancre tremblant du fond de la classe, mais Icare l’ami de Moira Fitzgerald, de la plus belle et de la plus gentille, Moira Fitzgerald. Menton haut, front dégagé, regard droit, tu files d’un pas assuré et hypnotique. Ton regard vif-argent, stoïque, balaie les invités dont aucune audace ne te ferait ciller. Qui est Moira ?

Elle.

À sa vue, tu te figes, te recoiffes d’un geste gracieux de la main et laisses un sourire radieux consolider cette première – et parfaite – impression. Elle est la plus belle, il est vrai. Tout le monde voit que tu craques. Ton regard se dérobe un instant – chassé –, on attendrait le rouge à tes joues mais il ne vient pas, car tu es un homme trop fier, cela se voit.

Yeux étranges qui les regardent, asymétriques, indescriptibles.
Ce ne sont que des ronds pourtant...

Moira accoure vers toi, sa main se pose sur ton épaule, tes mains glissent sur ses hanches ; ses lèvres touchent ta joue, ton regard lui fait l’amour. Tu as un rictus ravi lorsqu’elle te chuchote des horreurs d’enfant au creux de l’oreille. Elle aurait pu te proposer de voler la Lune que tu aurais été partant.

Tu as besoin de t’oublier.

« Ce soir, nous avons droit de vie ou de mort. » Sa main dans la tienne, tu frissonnes. Ton cœur se met à filer du lin d’or et il palpite, il vit, il s’emporte. Moira te fait franchir les portes de votre monde des merveilles, voici du champagne, voici les regards faux et envieux sur vous. Ici, personne ne te connaît. Tu peux être qui tu veux. Et tu seras qui elle veut que tu sois.

Elle.

Sa main qui n’a pas quitté la tienne.

Ton cœur tremble dans ta poitrine, tu le cajoles.

Tes yeux viennent écorcher le couple dont Moira réécrit la vie. Ils vous remarquent et tu te détournes en pouffant, grimace aux lèvres. « C’est son amant, mais elle ne serait pas contre un troisième dans leur lit... » Ta langue savoure les bulles de champagne qui éclatent à sa surface. Tu prends ta gorgée sans quitter Moira des yeux et tu t’assouvis du même coup de ce compliment. Elle aime ton prénom, Icare. Mais ce n’est pas ton prénom. Dans un instant elle dira qu’elle t’adore, mais ce ne sera pas non plus toi.

« Et moi le tien. M o i r a, prononces-tu avec l’accent, du grec ancien, destin. Et bien je pense que j’ai beaucoup de chance… » Tu éclates d’un rire charmant, doux, touchant, lumineux, cristallin, bleu-argent, divin. Icare et Moira.

Et sa main, sa main.
Sa main.
Sa main.
Dans la tienne, encore.

« Hola, holita, les gazouilleux ! » chante une voix toute branlante de l’ivresse et de la joie. Une petite affriolante se glisse contre toi, te lorgne de haut en bas, fixe son œil surplombé d'un gros sourcil arqué sur Moira, puis stabilise sa bouche en un cul-de-poule dans lequel tu aimerais tailler un de tes crayons de couleurs. « C’est ton chéri ? » demande-t-elle, len-te-ment, incrédule, impitoyable. Au-dessus de son épaule, tu vois le couple de tout à l’heure se dire quelque chose à l’oreille. Une main se perd sur le galbe gonflé des fesses en velours vert et tu souris, impressionné par les talents de ta nouvelle compagne. « Depuis trois semaines. » dis-tu, sans lui céder un regard, mais troublé par l’émotion qui étire tes lèvres malgré toi. Tu ramènes Moira contre ton côté droit et lui lances un regard depuis ta tour. Tu es si grand que tu la dépasses de trois têtes.

Peut-être juste une et demie....

« Un plan à trois ? Tu crois ? » demande-t-elle, malicieuse, alors qu'elle incline légèrement la tête et qu'elle doit néanmoins admettre qu'il semble avoir raison. Elle lui donne cette impression de ne jamais se satisfaire de ce qu'elle possède, mais le jugement est facile, seulement basé sur la gestuelle et les regards lascifs qu'elle envoie à son partenaire malgré l'angoisse naissante à l'idée de se faire surprendre. Moira se trompe probablement, d'ailleurs, mais s'amuse à réinventer les vies.

Surprise par les mots du blond, Moira arque un sourcil et relève les yeux vers lui. « Destin, hm ? » débute-t-elle alors qu'elle n'avait jamais cherché la signification de son prénom auparavant. « Je suis contente que tu aies accepté l'in ... »

Ses mots demeurent en suspens lorsqu'on interrompt leur discussion pour se rapprocher d'Icare et si Moira ne relâche pas sa main, c'est bien parce que les doigts du jeune homme se sont solidement accrochés aux siens. La brune est là, semble presque oublier la présence de Moira alors qu'elle demande pourtant si le blond est son petit-ami.

Elle n'a pas le temps de répondre, Moira, puisque Icare le fait pour elle.

Un sourire ravi étire les lèvres légèrement maquillées lorsque son nouveau compagnon l'attire contre lui d'une douce pression sur sa hanche. Moira a également envie de jouer le jeu, glisse un baiser à la base de sa joue, abandonne sa main dans le creux de sa nuque. Un rire délicat s'étiole entre eux lorsqu'elle reporte son attention sur la jolie brunette qui s'est aventurée jusqu'à eux, visiblement charmée par l'attitude et le charisme naturel d'Icare.

Tout comme elle, d'ailleurs.

Le regard de son partenaire est flamboyant lorsqu'elle relève les yeux vers lui et les doigts féminins glissent dans son dos, légers, pour raffermir sa prise sur lui et offrir à l'intruse un sourire satisfait. Moira ne le connaît pas du tout et déjà, une petite jalousie s'installe. Ses sourcils se sont même subtilement froncés lorsqu'elle l'a approché, comme si la nouvelle venue envahissait cette petite bulle de bonheur qu'elle aurait pu vouloir construire avec lui, si seulement il n'était pas l'ami d'un ami, seulement là pour l'accompagner. Un mensonge qu'elle n'a pas l'habitude de proférer et qui, pourtant, fait naître un brin d'excitation, d'amusement. « Tu imagines ? Il se souvient même de la date ! » lance-t-elle en quelques mots à moitié chuchotés, comme un secret. « Ils se font rares, j'ai de la chance. » ajoute-t-elle finalement en reportant ses prunelles espiègles et enchantées, presque amoureuses, sur le visage du jeune homme.

« C'était chouette de te rencontrer. On te reverra peut-être plus tard. »

La blonde attrape la main d'Icare pour l'entraîner à sa suite, sourire charmant aux lèvres.

« Elle, c'est une fille très timide qui a bu trop de champagne. » souffle-t-elle à son oreille alors qu'elle rit un peu et qu'elle jette un coup d'oeil autour d'elle. S'il y a bel et bien quelques tables posées ici et là, Moira a bien compris que le but de l'événement n'est pas de partager un bon repas en compagnie de quelques convives, mais bien de papillonner un peu partout pour tisser de nouveaux liens, ce qu'elle n'a pas réellement envie de faire maintenant qu'elle a trouvé un parfait partenaire pour traverser cette soirée qui s'annonçait un peu ennuyeuse.

Rapidement, toutefois, son regard se pose sur des plateaux de nourriture posés sur une longue table, au fond de la salle, et Moira l'entraîne à sa suite d'un pas dansant. Elle relâche finalement sa main pour attraper une assiette et commencer à la garnir de victuailles.

« Depuis trois semaines, hein ? » demande-t-elle, espiègle, alors qu'un sourire étire le coin des lèvres de la jeune fille et qu'elle se retourne entièrement vers lui, laissant les doigts de sa main libre effleurer délicatement le bras pourtant recouvert du veston. « Il ressemblait à quoi, notre premier rendez-vous ? » demande-t-elle finalement, prunelles brillantes sous l'éclairage doux des lampes de la salle.