interrogatoire - coyote

« Harrison ! On vient d'envoyer un gars en salle d'interro. Quand on a trouvé le corps de Evans, il était à côté et il semblait pas trop comprendre ce qu'il foutait là. Il est connu de la police. Il jette un rapide coup d'oeil à ses notes avant de relever à nouveau la tête vers lui. « Coyote Waterston.  » Bordel. « Encore lui ?  »

Un long soupir quitte les lèvres du détective alors qu'il récupère les dernières informations utiles en ce qui a trait à l'arrestation. Le dossier traîne déjà depuis plusieurs jours et le meurtre s'inscrit probablement dans une histoire plus grave et plus compliquée encore que le simple décès d'un homme qui a été retrouvé au fond d'une ruelle sombre et qui pourrait très bien l'avoir cherché. Duane connait suffisamment bien la rue pour savoir que les décès ne sont parfois qu'une suite de mauvaises circonstances, que ce qui ressemble à un meurtre ne l'est pas toujours et qu'ils se déguisent parfois en accidents afin de brouiller les pistes.  C'est son travail de démystifier le vrai du faux et de s'assurer de ne pas envoyer en prison le mauvais gars pour un crime qui ne lui appartiendrait pas.

« Je m'en occupe.  »

Il tourne les talons pour rejoindre son bureau, y abandonne son café avant de fouiller des yeux la pièce pour y dénicher la silhouette de son partenaire, visiblement absent pour le moment. Il se met néanmoins en route pour la salle d'interrogatoire, interpelle l'une de ses collègues au passage. « Tu diras à ma moitié de me rejoindre en salle d'interro quand il reviendra. S'il te plaît. » blague-t-il avant d'abandonner la blonde et de rejoindre la pièce où l'attend Coyote.

« Alors Waterston. T'en as pas marre de te faire ramasser par la police ?  » l'interroge le détective alors qu'il prend place devant lui, de l'autre côté de la table, après y avoir déposé ses notes et ses dossiers. « Y'a un gars qui est mort quelques mètres à côté de toi. Qu'est-ce que tu foutais là ? C'est loin de ton appart. » Duane pose son dos contre le dossier de sa chaise, prend à nouveau la parole afin de lui expliquer les procédures qu'il connaît pourtant par coeur. « Y'a deux caméras. Une là et une autre là-bas. Ça nous évite de prendre des notes. Mon collègue nous rejoindra plus tard.  »

La tête penchante, la nuque noueuse, les lumières de la salle d’interrogatoire me harcèlent. Menottes aux poings, comme si le mot coupable était inscrit sur mon front, de quoi est-ce qu’on m’inculpe cette fois ? Je ne pleurerais pas, ça ne toucherait personne ma comédie, personne ne me considère comme un être humain. Je dois essayer de me montrer malin, mais difficile quand les premiers signes du manque pointent leur bout du nez…  Les secondes sont des heures, j’suis assis à ce petit bureau en fer sur cette chaise crissement dure qui semble m'enfoncer le coccyx dans le pelvis. Tout ça sans une fichue goutte d’eau et sans rien dans le bide. Mes mains tremblent, la sueur perle sur mon front. Mon corps sait ce que je risque, ma tête le réalise beaucoup moins. Ma tête sait que je vais m’en sortir, que j’peux encore renverser la vapeur. Ma tête sait à quel point je suis fort. Ma tête est lourde, elle aimerait bien dormir… Juste un peu… Fermer les yeux…

La porte s’ouvre, mes paupières tentent d’en faire de même.
Un léger sourire s’étire sur mes lèvres en reconnaissant Harrison…

Pourquoi le détective est encore missionné ?
Ah ouais… Le cadavre…

Mes pupilles s’orientent vers les caméras désignées, super… Je me demande combien ils en ont comme ça, avec ma gueule dessus. Beaucoup trop. Pourtant, je suis toujours là, libre… Échappant presque par miracle à la taule ou à l’internement psychiatrique.

C’est ça de trainer avec les mauvaises personnes, d’être constamment au moment endroit au mauvais moment. Mais un cadavre, ce n’est pas rien.

- J’attendais un gars…

Pour avoir cette tabarnak de drogue qui me manque cruellement.

- J’ai rien vu.

C’est ce que je dis à chaque fois, du moins au début. Mes ongles grattent nerveusement le métal froid autour de mes poignets.

- J’dois rester encore combien de temps ? J’ai faim…

S’il n’y avait que la faim, ce serait facile. Il faut que je parte d’ici, je n’ai aucune idée de l’heure à laquelle je suis arrivé alors la pendule sur le mur en face de moi ne veut strictement rien dire. Je n’arrive plus à organiser mes pensées pour faire un argumentaire correct pour être libéré rapidement. Je tente malgré tout, sait-on jamais…

- J’ai pas pris mes médocs… Tu sais que j’vais péter un câble… J’peux pas avoir les idées claires sans ça. J’essaie pas d’gagner du temps…

Non juste de faire en sorte que le temps imparti pour m’interroger soit écoulé, mais si le temps me semble être une éternité, je suis loin des 24h de garde à vue… Très loin.  

« Tu attendais un gars. Quel gars ? » demande-t-il en fronçant un sourcil alors qu'il s'installe plus confortablement sur sa chaise, le regard fixé sur ce jeune homme qui lui fait face et qui pourrait tout aussi bien avoir l'air d'un gamin. Ce n'est pas la première fois qu'ils le récupèrent dans tous les coins paumés de la ville et s'il n'a jamais de sang sur les mains, Duane commence à en avoir marre qu'il se trouve toujours sur les lieux du crime. Coyote doit apprendre à mieux choisir les personnes qu'il fréquente, ne serait-ce que pour éviter de se retrouver encore une fois dans une salle d'interrogatoire, du mauvais côté de la table.

Un soupir quitte les lèvres du policier alors qu'il s'avance un peu vers lui, coudes posés sur la table.

« T'as rien vu. T'es sûr de ça ? »

De toute façon, Waterston ne voit jamais rien. Il se trouve toujours à quelques mètres des victimes, mais ne voit jamais rien, comme si des oeillères lui brouillaient la vue, comme si une cagoule était posée sur sa tête. Lorsqu'il demande combien de temps il va rester là en précisant qu'il a faim, Duane soupire lourdement et jette un coup d'oeil au patrouilleur posé de l'autre côté de la porte. « Tu veux bien aller lui chercher un café et un muffin ? » Un hochement de tête plus tard, le policier disparaît et les laisse seuls.

« Les médicaments ou la drogue ? C'est que t'es pas toujours facile à suivre. » Cette fois, Duane fronce néanmoins légèrement les sourcils alors qu'il jauge l'état physique du jeune homme, qu'il tente de déceler les signes du manque sur les mouvements de ses mains ou les traits de son visage. « T'as pas des médicaments avec toi ? Je pensais t'avoir dit que c'était important d'en avoir, la dernière fois. » Duane connait ça. Les médicaments, un peu moins. La drogue, beaucoup. Il n'a pas envie de garder Coyote enfermé ici s'il n'a rien à se reprocher - et après tout, le policier est presque persuadé qu'il n'a rien à voir là-dedans - mais il n'a pas le choix de poser des questions, ne peut pas juste le laisser partir sans prendre la peine de l'interroger. S'il se base souvent sur son instinct dans le cadre de son travail, Duane doit néanmoins admettre qu'il essaie de faire les choses dans le bon ordre lorsqu'il a la chance de réfléchir à ce qu'il va faire.

« Alors. Si tu veux partir d'ici, tu vas devoir m'écouter et essayer de réfléchir un peu. » débute-t-il en posant à nouveau son dos contre la chaise, les yeux rivés sur Coyote afin de jauger son état, de loin, sans se montrer trop insistant. « Donc, toi, t'es là et tu attends un gars. Il est venu, le gars ? Est-ce que tu as vu des gens bizarres, quelque chose de louche dans le coin ? Essaie de te souvenir, c'est important. » Rapidement, toutefois, le patrouilleur qui l'a arrêté revient et pose devant Coyote une pâtisserie et un café avant de retourner se planter de l'autre côté de la porte. « Vas-y. » lance simplement Duane avec un petit signe de tête en direction des victuailles.

Mes yeux ne le quittent pas, parce que j’ai pas grand-chose d’autre à regarder. J’me demande pourquoi les femmes flics sexy c’est que dans les films, faut faire quel genre de crime pour avoir le droit à un interrogatoire sexy ? Cette pensée me fit décrocher un léger sourire en coin, rictus bancal de mon esprit qui tente de partir loin d’ici, de me laisser crever ici avec les emmerdes que j’arrive à m’attirer.

Malgré tout, Duane a toujours été assez sympas avec moi, si j’ai un espoir d’écourter la garde à vue, il porte son nom. Il n’y a que lui qui puisse me sortir de ce somptueux pétrin. Mon cerveau collaborera-t-il seulement ? Je peux être une terrible tête de con quand je m’y met, j’en rien une couche quand mon humeur est têtue. L’inconfort que me prodigue le manque m’empêche cependant de jouer les gros durs. Pas ce soir. Et pourtant :

- Si j’étais du genre à savoir c’qui est important, est-ce que j’aurai besoin de ces merdes de medocs ? Tu sais pas c’que c’est… De voir s’éteindre tes pensées.

Je déteste mes médicaments, l’effet qu’ils ont sur moi, de me transformer, de choisir l’humeur dans laquelle je dois me trouver en jouant sur la chimie de mon cerveau. Rien à voir avec un shoot de drogue, les médicaments son sournois, ils s’inscrivent doucement, mais surement, puis un matin tu te réveille avec le gout de rien… Il y a un peu d’amertume dans ma voix, signe que je n’ai en réalité pas prit mes cachets depuis un moment. Mon colocataire à beau essayer de surveiller mes prises, je parviens souvent à les cacher dans ma bouche pour les recracher ou n’hésite pas selon la période à me faire vomir quand il a le dos tourné. Je maudis mes médicaments, autant que je sais qu’ils me sont vitaux, notamment dans des moments comme celui-ci…

Je reste silencieux après toutes ses questions, mon regard se pose sur la collation qu’il m’invite à prendre. Paranoïaque, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il a planqué quelque chose dans la nourriture, on m’a bien fait le tour plus d’une fois en psychiatrie. Malgré tout je m’empare du muffin pour le partager en deux, je repose la moitié devant Duane. Lui d’abord.

- J’attendais un gars, j’me disais qu’c’est long… J’sais pas s’il est venu, mais quand il a vu tout c’bordel de flics, il a dû foutre le camp et il avait bien raison. J’suis parti un peu plus loin, mais tes copains me sont tombés dessus, j’ai essayé d’m’enfuir parce que j’savais bien qu’ils allaient m’emmener ici et que j’ai autr’ chose à faire que d’partager un muffin avec toi.

Les griffures sur mon visage ne sont pas apparues par magie, c’est qu’ils aiment pas qu’on leur résiste, ça vous rend coupable immédiatement… La paume de ma main moite fit justement glisser ma part de muffin sur la table.

- Qu’est-ce qui m’dit que j’vais sortir de là si j’me souvenais d’un truc ?

Parce qu’en fait, comme toujours, même si j’ai la tête ailleurs, j’suis loin d’être un crétin. J’ai tendance à faire comme ça, pour que l’on ne s’attarde pas sur moi. Un crétin pareil, hacker ? Ça en ferait marrer plus d’un, j’suis plutôt doué dans l’exercice d’avoir l’air d’un parfait idiot, parce que mon comportement l’est la plupart du temps…

Mais y a un cadavre ce coup-ci… Les enjeux sont bien plus importants que les fois d’avant où j’pouvais m’en sortir sans rien dire, mais j’devine que les menottes signifient que je suis suspect dans cette affaire et pas uniquement un témoin…