Près de vingt ans maintenant que Silas fréquentait le sous-sol du Dunham’s garage, abandonnait les clés plates et crics pour venir se planquer ici après le boulot pour s’entraîner. Il avait contribué à user les rings, à tâcher le sol de son sang et de sa sueur. On le connaissait dans le coin, on connaissait sa valeur et ses qualités de combattant. Pourtant, il n’arrivait jamais à franchement s’y habituer à cette atmosphère lourde quand le mot était passé qu’un combat allait s’y dérouler. Il avait l’impression d’arriver dans une jungle d’âmes avides de violence, de douleur, de sang. Le silence de l’ancien gymnase se transformait en cris déchaînés, l’air d’habitude saturé de poussière se mettait à puer la sueur. Il avait pourtant pas voulu se battre, ce soir. Il avait encore quelques recrues à envoyer au tapis, quelques jeunes gars fringants qui pouvaient se faire envoyer au tapis sans qu’il s’y intéresse de trop. Mais ce soir, ce n’étaient pas des petits noms sur la liste ou des inconnus sortis de nulle part. Les mises s’étaient envolées, atteignant deux mille livres pour certains combats. Et putain, il avait besoin de cette tune. Ce n’était pas comme si ses adversaires lui faisaient peur ; il n’y en avait pas un qu’il n’avait pas foutu à terre par le passé. Alors ouais, Silas avait fini par coucher son nom, par essayer de se flatter de l’enthousiasme des organisateurs. Il savait pertinemment comment cela allait se finir ; ça allait peut-être le foutre hors service pour la semaine à venir. Il pourrait perdre, être venu pour rien. Sauf que voilà, il en était arrivé à un point de sa vie où il n’avait plus grand-chose à perdre.
Si bien que quand son dos heurta violemment les cordes une nouvelle fois, il continuait de sourire et ce sous les cris du public. Il faisait volontairement traîner le combat, frappant les zones sensibles pour esquiver par la suite et juste tourner dans le ring, consumer l’énergie dans des gestes inutiles. Plus l’issue est incertaine et longue, plus les paris vont grimper. Il veut repartir avec cette tune, n’ignore pas pour autant qu’il est en train de s’épuiser lui aussi. Il se ramasse les coups à chaque corps à corps, est arrivé à un point où le sang gêne son regard, emplit sa bouche. C’est le retour de la douleur généralisée, tellement présente qu’il n’arrive plus à y accorder de l’importance. Il doit pas être bien beau à voir, et c’est presque une bonne chose que les coups qui suivent s’écrasent dans son estomac. Il a été trop lent pour se protéger, en paye le prix fort. C’est un uppercut qui met fin au martèlement, le laisse s’éloigner juste le temps d’essuyer son visage du revers de son avant-bras, de cracher sa bile rougie. C’est là qu’il pense la voir, croiser son regard. Une silhouette trop immaculée pour faire partie de ce décor scabreux.
Et ça le déstabilise Silas, assez pour que son adversaire revienne à la charge, profite de son inattention pour lui fracasser la mâchoire. Ça signe la fin de la patience de l’anglais dont le regard noircit. Assez pour le spectacle, assez pour le jeu d’endurance. C’est le déferlement de violence qui débute, le poing vicieux dans les côtes, dans le foie, l’uppercut qui lui fait pivoter la tête, le coup qui remonte dans le bas de la mâchoire pour faire claquer les gens. Puis, c’est en pleine gueule, et il est assez proche pour entendre le craquement du nez cassé. Ça transforme le gars en face en poupée de chiffon qui peine à tenir à chaque nouvel impact. La victoire est vite prononcée, mais Silas ne s’attend pas à un putain de prix.
Il sort du ring, attrape sa bouteille d’eau et sa serviette pour essayer de rincer sa bouche, d’essuyer les plaies de son visage. Il tangue, les conséquences de la douleur qui reprend ses droits sur l’adrénaline. Les poings sont en piteux état malgré les bandages. Il se retrouve comme un fou à se faufiler à travers les visiteurs dans l’espoir de la voir, d’être sûr qu’il n’a pas halluciné. Mais ça doit être le cas, n’est-ce pas ? Qu’est-ce qu’elle foutrait ici ? Pourtant, quand son regard se pose sur ce corps gracile, cette chevelure aux boucles élégantes, qu’elle tourne le visage vers lui, il sait qu’il pourrait la reconnaître entre mille. Oksana. Il a bien l’air con, couvert de sueur, de sang, de saleté alors qu’elle est si parfaite qu’elle en est irréelle. Ironiquement, c’est une belle allégorie de leur relation ; ça donnait des allures de belle et de clochard. Ça le heurte plus qu’il ne peut l’expliquer et malgré le vacarme ambiant, c’était comme si tout devenait silencieux. Il n’y avait que le souvenir de ses mots doux et de ses je t’aime qui ressurgissaient, ce qui finalement eut pour effet de le faire rebrousser chemin en direction des vestiaires. Plus sonné par cette apparition que par tous les coups reçus, finalement.
GASMASK
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Sujet: Re: back of my mind (Oksana) Lun 22 Fév - 22:23
back of my mind ☾
belle trouvaille, celle que tu n’connaissais pas, celle que tu recherchais pourtant. un point où tu pouvais réellement être toi-même. un lieu où tout ce qui t’excitait, te rendais euphorique était la vue du sang. cette violence acharnée, désespérée. ces recherches de sensations, de danger. l’adrénaline de chacun, même les spectateurs pouvaient la ressentir jusqu’au bout des orteils. les âmes sensibles n’auraient pas tenu une minute. toi qui dévisageait ceux et celles qui n’avaient pas le cœur assez accroché, toi qui n’en perdais pas une miette. toi qui, dd’un regard soutenu, limite pervers regardait cet homme que tu connaissais, faire le show. le regarder se battre. voir son sang s’expulser de ses lèvres, de son visage. le voir dans un piteux état alors qu’il t’a remarqué. moment d’euphorie, de tension. d’incertitude dans son regard. perplexe, il ne t’attendait pas. surprise non dissimulée alors que sur tes lèvres, un sourire caché. triomphant, voyant qu’il se faisait prendre en traître. prêt à finir ko. ce genre de combat est différent de ceux qui passent à la télé, de ceux qu’on peut aller voir sur un coup de tête parce que t’es bien trop fan d’un boxeur, d’un combattant. ici, ce n’est pas que le cœur qui doit s’accrocher. c’est tous tes membres, tous tes organes. ici, ce soir, tu pensais qu’il perdrait. pensais qu’il finirait inconscient ou même mort.
mais voilà que le phœnix renaît de ses cendres. parce qu’ici, tu n’peux pas partir en perdant. en loser. tu dois triompher. et ce soir, silas le fera. et le voir ainsi, tout cassé, suintant, dégoulinant de son propre sang mélangé à celui de son adversaire te chatouillait le cœur. te fit ressentir cette dose d’excitation. toi qui n’le quitte pas du regard. pas une seule seconde, pas un seul instant alors que lui, vient rencontrer le tien. juste un regard suffit pour que tu lises en lui, que tu découvres ses plus sombres idées, ses plus gros secrets. l’effet escompté. peut-être pas le lieu opportun, toi qui voulais te défouler, y participer. lui qui te voyais comme cette chose fragile, cette poupée russe qui risquait la fissure. et toi qui aimais en jouer. et toi qui le vois partir, s’éloigner le plus possible. mais toi qui n’es pas prête à le laisser partir. tes jambes qui t’emmènent, qui essaient de te frayer un chemin entre toute cette testostérone, celui qui a voulu te mettre une main au cul alors que ta main venait d’empoigner sa bourse, l’intimant du regard de n’plus jamais oser poser ses mains sur ton corps. te laissant reprendre ta marche jusqu’a entrer dans les vestiaires. masque de la petite fille sage, celui qui l’a fait tomber fou, l’a rendu fou. celui que tu mets pour tenter d’avoir accès à son cœur une seconde fois. les retrouvailles d’un passé en commun, tumultueux. « silas... » son dos te fit face, ta voix douce, laissant place à la lumière devant cette euphorie ténébreuse, sombre. gardant une certaine distance. pas à pas. ce silence qui persistait, celui que tu détestais. un silence froid, celui qui réussit à te tendre, à te faire frissonner. « je ne savais pas que tu participais à ce genre d’activité.. c’est un peu barbare, non? » lentement, doucement, à pas de loup tu te rapprochais de lui, laissant tes talons claquer, lui faisant comprendre que non, ce n’était pas un mirage, tu étais bien là.
Avec les années, c’était une armure que l’homme avait fini par se forger, supposée le protéger de désillusions et lui créer une autre image que celle d’un homme brisé. Parce qu’au fond, c’était ce qu’il était quand il s’était jeté dans les bras d’Oksana. Perdu, trahi, à bout de forces, prêt à vendre son âme au diable pour un peu de liberté. Il l’avait laissée entrer dans sa vie alors même qu’il aurait dû apprendre à ne plus offrir sa confiance, et cela s’était soldé par un départ. Cela avait été brusque, soudain, à peine une vague explication. Son corps nu qui se glissait dans son lit avait été remplacé par le froid glacial, la douceur de ses je t’aime par le silence. En étant au fond du trou, il n’était pas encore tombé plus bas. En fait, il n’avait même pas réussi à lui en vouloir. Elle méritait mieux qu’un type fracassé comme lui, probablement. Il avait tiré un trait sur cette histoire depuis, avait repris le fil de sa vie lamentable. C’était bien pour cette raison qu’il ne se serait pas attendu à la revoir, pas ici, pas dans ce décor. Il avait préféré tourner les talons plutôt que de laisser les questions affluer, parce que dieu sait qu’il en avait sur sa présence ici, sur son retour à Exeter globalement. Les conséquences d’un ego mal placé, probablement. Après tout, ils ne se connaissaient pas. Elle l’avait endormi et il aurait tout gobé.
Dans les vestiaires, il croise son reflet dans l’un des vieux miroirs crasseux. Aussi crasseux que lui probablement, son état fait peine à voir. Machinalement, Silas utilise le coin de sa serviette pour éponger le sang, la sueur, essayer de voir l’étendue des plaies et d’imaginer les hématomes qui pointeront le lendemain. Il peut la voir approcher derrière son épaule Oksana, entend ses pas, tente de ne pas frémir lorsqu’elle prononce son nom. Il était la brute entre eux, alors pourquoi est-ce que cette présence féline lui semblait si menaçante ? Un ricanement lui échappe à la mention de ces spectacles de violence, ceux qui lui permettent de vivre. « Ça a pas eu l’air de te déplaire pourtant. » C’était l’effet des combats illégaux. Plus ça devenait virulent, plus les adversaires se mettaient à tanguer, mieux c’était. L’anglais finit par se retourner lentement, osant enfin affronter la vision de cette femme qui l’avait tellement rendu fou il y a quelques années. « Personne ne vient voir des combats par hasard. » C’était illégal, après tout. Si quelques flics corrompus tenaient leurs chiens loin du sous-sol, il n’y avait pas exactement d’affiches pour promouvoir l’événement sur tous les poteaux de la ville. « Ca faisait longtemps. » Il n’est personne pour lui balancer des reproches, mais le ton est assez pesant pour savoir ce qu’il en pense. Peut-être que finalement, il avait beaucoup moins digéré son départ que ce qu’il avait bien voulu admettre, aussi justifié soit-il. Il avait imaginé parfois des retrouvailles, mais à aucun moment il n’aurait imaginé que ce soit dans des vestiaires miteux.
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