YONÈLE » SUNSHINE ON YOUR FACE.

Les pas calqués sur ceux de la veille. D’avant-hier. La routine installée, sans ressentir cette lassitude, des mois derniers, où la morosité avait coloré le moindre de ses faits et gestes. Gamine plus légère, depuis son retour ici. La ville gardait ce goût amer, la souffrance de ces années endurées, sans trouver la force ni le courage de se livrer. Adèle, elle fermait, parfois, trop fort les mirettes, jusqu’à voir des taches… Et des taches colorées, à n’en plus pouvoir. À se crever les yeux. Pour s’empêcher de revivre les événements, de moins y penser, les ressasser moins que possible. Adèle, brisée de part en part, elle n’était plus qu’une poupée de porcelaine, que l’on avait balancé, ci et là, contre murs et parquets, jusqu’à ce que les fissures se brisent, pour s’éclater sur le sol, les morceaux de son existence. Martelée. Défoncée. Par des coups de pute, par des injustices et cette foutue tendance, Adèle, à vouloir se sacrifier, pour qu’ils puissent vivre. Ils méritaient plus qu’elle, dans sa tête, cette famille aimée, adulée. La brune, elle se retrouvait seule, dans une ville remplie de brume et brouillard, où les chimères ondulaient de jour et de nuit, dans ce coin de vices, de noirceur absolue. Parfois, le bruit de ses talons, claquant le bitume, d’une mélodie stridente, la sortait de ses pensées. Celles qu’elle essayait d’abattre, de vaincre, en tachant de se remémorer ce mois, où elle s’était sentie si légère, qu’elle eut la démence, l’insanité, de croire, qu’elle aurait une place au paradis. Si voluptueuse, que le cœur s’était soulevé, l’enrobant de coton, de duvet. Octroyant ce sentiment de liberté, de calme et de paix, envers elle-même. Les lames, depuis, ne glissaient plus entre ses doigts. Les poignets ne prenaient plus le rôle des cordes de ses instruments. Les lames tranchantes ne déchiraient plus ses veines. Les sentiers bleutés ne remplaçaient plus l’archet fin, somptueux. Un petit pas, pour elle, son amour-propre, la culpabilité persistait, même si le cœur, lui, se voilait de coton blanc. Toile innocente. Une légère risette aux pulpes. Le soleil s’écrasait sur son minois, le derme lilial baigné par les rayons, encore pudiques, de l’astre incandescent. Celui qui se pointait bien trop peu, en cette saison froide, glaciale, hivernale. Les habitudes revenaient, peu à peu, au fil des jours, des pas, vers le centre d’aide. Cette petite bâtisse, boisée, chaleureuse, qui ne ressemblait en rien à un hôpital. Non, Adèle, elle ressentait un sentiment agréable, en posant la voûte d’un pied. Puis… L’autre. Les quelques sourires et paroles glissées, offerts à cette gamine perdue, peinant à trouver son chemin, jusqu’à la salle de musique. Celle qui n’en avait pas l’air, mais qu’elle appelait ainsi, pour rendre la thérapie moins difficile, pénible. Elle y allait à reculons, Adèle, adressant un sourire crispé, à celle dont la main réchauffait la sienne. Une petite heure de discussion, ponctuée de notes musicales, lui permettant de mettre toute sa sensibilité dans sa musique. Elle restait seule, un moment, ensuite. Les yeux fermés, à glisser l’archet sur les cordes de son violoncelle, dont le bois brillait sous le soleil, vif, agressif. Et elle eut envie, Adèle, de s’allonger, là, sur le parquet, face à la grande baie vitrée, où le soleil pénétrait l’intérieur de la pièce, éblouissant l’endroit. La déesse allongée, là, divine dans sa sérénité. Baignée de soleil.

(c) TORTIPOUSS.

Adèle, elle avait le cœur qui piquait… Et piquait, en se laissant aller, au fil des mots offerts à la femme en face d’elle. Elle ignorait ce qui lui prenait, lorsqu’elle mettait le pied dans l’enceinte du bâtiment, en adressant quelques sourires pudiques, réservés. Adèle, elle scintillait, avec son instrument massif sur le dos, étincelant sous les lumières extérieures, du soleil, virevoltant sur son visage, au travers des plantes et baies vitrées. Jeux de lumières. Jeux d’ombres. La brune tapotait nerveusement ses phalanges sur sa cuisse, sur le collant légèrement transparent, fuyant parfois le regard océan de son interlocutrice, lorsque les mots ne parvenaient pas à s’extirper de sa gorge. Bouchon, gorge sèche et nouée, le passage se faisait difficile, alors elle gardait le silence, Adèle, ayant le droit de se réfugier dans sa zone de confort, quelques fois. Son instant favori se rapprochait et l’on voyait, à l’éclat de ses prunelles, quel plaisir elle prenait en tirant sur la fermeture éclair de sa protection de violoncelle. L’instrument brillait, projetait quelques éclats lumineux sur les murs immaculés et les notes naissaient de cette peur, de cette tristesse. Sa mélancolie au service de son art, celui envolé, devenu traumatique et déstabilisant, depuis des années. Elle avait mis du temps à réapprovisionner sa musique, à glisser l’archet sur les cordes sans trembler et hurler. Autrefois, le violoncelle restait dans un coin, prenait la poussière et ne brillait plus, parce qu’avec le temps, Adèle l’avait oublié, l’effaçant de son champ de vision. À ses yeux, il n’existait plus. Elle avait hésité à l’embarquer lors de sa thérapie, mais force de constater qu’il avait été sa porte de sortie, sa voie de secours, face à l’anxiété. Certes, les premières notes étaient dramatiques, lui arrachaient des larmes et des sanglots, qu’elle ne maîtrisait absolument pas. Désormais, Adèle se sentait plus libre, soulagée d’un poids, s’enfonçant dans sa bulle, son cocon, en jouant de sa musique. Le temps passait et ses traits s’apaisaient, elle semblait plus légère, moins stressée et anxieuse, même si sa frimousse ne laissait rien passer. Elle finissait par déposer son arme d’expression, son objet salvateur, pour s’allonger à même le sol. Le parquet brûlait dû au soleil ardent, chauffait son épiderme si blanc, assorti à la neige des montages que sa belle gueule avait peuplé, le mois dernier. Adèle, les paupières closes, elle se prélassait, sous ce qui lui manquait, dans son enfer sans once de lumières. Et s’en venait les quelques paroles, joyeuses, heureuses, féeriques, presque, qui lui faisait ouvrir un œil, se confrontant au visage innocent de cette jeune femme, aussi ensoleillée que l’astre, mettant feu à son épiderme. « Tu veux quoi ? » Elle ne faisait pas dans la dentelle, pas de ceux qui se laissaient brosser dans le sens du poil, en ronronnant et souriant. Guère des plus sociables et facile à vivre, la gamine abîmée, aux multiples plaies suintants et carences, pas encore comblées. « Je suis pas à ton service. » Et l’oeil se refermait, croisant ses phalanges ensemble sur son ventre. « Utilise Youtube. » La remarque claquait, faisait mal, comme à son habitude, pour mieux tenir éloigner les gens d’elle, de ses failles cachées. Entendre sa musique la mettait à nue et Adèle, elle en était effrayée.

(c) TORTIPOUSS.