Nos étoiles contraires [Moira #2]

Ses lippes contre celles de la blonde, il se laisse envahir par le désir, aussi intense que viscéral. Par le besoin de prendre possession de son corps et de la faire sienne, juste l’espace d’une nuit lui permettant de s’oublier un peu. De ne plus être Cináed. Tout comme pour elle, de ne plus être cette épouse enchaînée à un mariage malheureux. Ils éprouvent ce même besoin, cette envie de s’oublier un peu. Et finalement, leur rencontre est bien tombée.
Il a besoin d’elle comme elle a besoin de lui.
Ça a démarré sur du néant, une conversation au détour d’un sandwich acheté au kebab du coin situé par loin du Devil’s Den, tenu par un algérien aimant trop raconter sa vie. Lui, il a faim et elle, préfère tromper l’ennui en mangeant son sandwich dégoulinant de gras plutôt que de rentrer chez elle où l’attend ce mari dont elle n’éprouve plus rien.
Les mots s’échangent. D’abord anodins, il a faim et doit gérer les filles et le fonctionnement du bordelais. Et puis de fil en aiguilles, les esprits s’échauffent, elle est bien trop séductrice, laisse comprendre qu’elle n’a pas forcément envie de rentrer chez elle mais veut être ailleurs. Il lui propose ce verre. Un seul qu’il pense. Des dizaines qui se consomment en réalité. Ça trompe le temps et l’ennui. Cináed se plaît dans l’échange, finit par la désirer et par en vouloir plus. Les verres se sont enchaînés, amenant l’ivresse parmi eux. Et l’impatience de s’envoyer en l’air.
Avec un coup dans le nez, il oublie qu’il dort chez Manus depuis quelques jours, qu’il fuit l’appart qu’il a pris en location à son arrivée. Non pas qu’il se découvre une soudaine peur du noir ou une hantise de la solitude, mais bien parce qu’il ne veut pas revoir cette gamine hurlante ayant fait irruption chez lui. Il a évité son chez-lui jusqu’à présent. Mais là, dans l’instant où il ne pense qu’à assouvir son besoin de baiser un bon coup et de soulager son plumeau, il oublie qu’il n’est plus allé chez lui, qu’il prend le risque de tomber sur elle.
Il est occupé à se jeter sur la blonde dont il n’a même pas retenu le prénom, à la soulever contre lui pour l’emmener dans sa chambre, la déshabiller dans son lit et lui faire voir le Roi Soleil. Dans le noir absolu et le calme plat, il ne voit pas les traces discrètes de cette présence humaine déjà présente chez lui. La gamine n’est pas partie mais Cináed ne fait pas attention : il a mieux à faire. Ne jamais lâcher cette bouche dansant avec la sienne. Ne jamais se défaire de cette présence humaine pour ce soir.
Elle murmure des mots auxquels il répond par un rire amusé. Ça ira ce soir et les corps s’échouent sur le lit qu’il repère parce qu’il connaît bien les lieux.
Et le cri jaillit aussitôt.
Il sursaute, réalisant que la couche était bizarre. Une sensation inconfortable comme lorsqu’il y a un caillou dans la chaussure. Le cri l’alerte et il se redresse d’un bond alors que la lampe de chevet s’allume.
« Mais qu’est ce que tu branles là !??!? » Braille-t-il comme un putois, découvrant avec stupeur le visage endormi de la fille Fitzgerald.
Finalement elle n’est pas partie de l’appartement.
Finalement, elle est restée.
« Qu’est ce que ça veut dire !? » Ajoute la blonde qui aurait dû faire l’amour avec lui toute la nuit et non pas se retrouver dans pareille situation. Auquel il n’a aucune réponse d’ailleurs, si ce n’est qu’il désigne la gamine de sa main, dépité et blasé.
« C’est… C’est… »
Ta fille.
Oh que c’est dur !
« C’est ? » Elle s’est levée, abaisse sa jupe qu’il lui avait relevé. Gênée plus qu’autre chose.

Elle l'a cherché partout, Moira. Elle l'a cherché au Devil's Den, elle l'a cherché dans ce petit bar irlandais qu'elle a trouvé sur google maps et qui ne se trouve pas très loin d'ici - les propriétaires ne sont même pas irlandais, d'ailleurs, quelle félonie ! - mais Cináed ne se trouvait nulle part en vue. Puisqu'il semble avoir abandonné son appartement pour la fuir comme un gros bébé grognon et pleurnichard, Moira y est toujours revenue après ses virées journalières dans l'espoir de le trouver là, prêt à discuter avec elle, prêt à ouvrir le dialogue sans l'insulter, même si ses espoirs se sont un peu envolés après l'avoir rencontré pour la première fois. Son père n'est définitivement pas l'homme qu'elle aurait voulu qu'il soit, mais elle ne peut pas lui en vouloir puisqu'il doit composer avec le fait d'avoir une fille de vingt ans qu'il n'a jamais connue, une fille qu'il n'a pas élevée et qui débarque sans s'annoncer sur le pas de sa porte.

Elle n'essaie pas de lui trouver des excuses, mais elle a eu toute la vie pour se faire à cette idée qu'un père, quelque part, ne voulait rien savoir d'elle, alors que l'irlandais, lui, n'a rien vu venir. 

Elle commande à manger - une pizza - et s'installe devant la télévision pendant de longues heures avant de prendre une douche et de rejoindre la chambre principale pour se glisser sous les draps. Le lit est plus confortable que le canapé et comme la deuxième chambre de l'appartement est vide, Moira n'a pas vraiment le choix. Ses journées sont bien remplies et la gamine a trouvé un travail dès la seconde journée de son arrivée à Exeter, si bien qu'elle est fatiguée et que le sommeil la rattrape rapidement.

Un cri quitte néanmoins ses lèvres lorsqu'elle se fait réveiller en sursaut par un poids qui, heureusement, se retire lorsqu'elle remue sous les couvertures et qu'elle étire le bras pour allumer la lampe qui se trouve sur la table de chevet. La question de son père lui soutire un soupir agacé alors qu'elle laisse retomber sa tête sur l'oreiller, les yeux encore fermés afin de pas les agresser de cette lumière trop vive trop tôt.

« Tu crois quoi ? Je dormais. »

Pendant de longues secondes, Cináed demeure silencieux alors que la fille qui l'accompagne pose une question qui s'avère légitime, d'autant plus que la gamine est encore allongée dans son lit. Elle soupire lourdement lorsqu'elle constate que l'irlandais ne répondra pas, que les mots semblent se coincer au creux de sa gorge.

« Sa fille. » grogne-t-elle d'une voix devenue rauque par le sommeil alors qu'elle se redresse dans le lit de la chambre principale, vêtue d'un short et d'un débardeur, les cheveux légèrement en bataille. Ses yeux se plissent afin de s'adapter à la lumière soudaine de la chambre et un long soupir  quitte ses lèvres alors qu'elle pose d'abord ses prunelles sur la silhouette de son père, puis sur celle de la fille qu'il a ramenée et qui replace sa jupe. Les lèvres rougies par les baisers et l'ivresse qu'elle devine dans chacun de leurs gestes ne laissent aucun doute sur la raison de sa présence ici et Moira lève les yeux au ciel, repousse les couvertures pour se relever.

Lorsque ses pieds nus touchent le sol, la gamine se retourne finalement vers eux après avoir fait quelques pas en direction de la porte.

« Essayez de pas faire trop de bruit. »

Elle quitte la chambre en refermant la porte derrière elle, traîne les pieds jusqu'au canapé pour récupérer une couverture et un coussin qui fera office d'oreiller rudimentaire pour le restant de la nuit.

Le lit était définitivement plus confortable et elle regrette désormais so choix d'avoir quitté la pièce.

La situation pourrait paraître cocasse si elle n’était pas triste à pleurer dans le fond. Se retrouver dans son appartement avec une génisse en chaleur et finalement, laisser redescendre toute la pression pour faire face à sa fille. Il ne peut supporter sa voix. Il ne peut accepter son visage. Son insolence le fait serrer les poings, lui donne des envies de meurtre contre d’innocents chatons. Parce que si elle était vraiment ce qu’elle dit être (coucou la famille Fitzgerald) alors il lui est impossible de l’abattre. Ce serait si simple. Il n’aurait qu’à prendre son flingue et le pointer sur elle. Appuyer sur la détente, laisser l’explosion détoner pendant que le corps s’échouerait en arrière, dans un éclaboussement sanguin.
Bien sûr, sa blonde se serait mise à hurler et il l’aurait tuée aussi. Un carnage nécessaire pour faire passer son envie de la tuer, elle, cette fille qui se dit être sa gosse.
Et qui est encore chez lui alors qu’il bégaie comme un âne, incapable de dire ce qu’elle est vraiment.
Or, Moira le reprend et annonce ces deux mots tellement douloureux pour Cináed. L’uppercut est violent et il serre les dents pour ne pas la gifler.
Pas devant la blonde dont il sent que les chances de s’envoyer en l’air, s’amenuisent petit à petit. Elle a cet  air interloqué, nécessaire pour masquer la gêne de se faire choper dans cet instant honteux, rappelant l’alliance à son annulaire, l’engagement et tout le bordel dont Cináed en a rien à foutre.
« Non ! Ce n’est PAS ma… » Mais il se tait immédiatement, en poussant un soupir excédé pendant que Moira se casse de la chambre en leur demandant de ne pas faire de bruit, referme la porte et laisse Cin’ avec sa conquêtre dans un duel de regards se mélangeant à l’ambiance, naguère enflammée, désormais pesante.
« Tu me fais venir ici alors qu’il y a ta fille ?! » Elle le regarde de ces airs choqués si propre aux femmes. Et dont il hait si férocement. Ça n’aide pas à conserver un calme apparent, ni à faire preuve d’un peu de bonté.
« J’savais pas qu’elle était là alors me les brise pas, ok ? » La voix est grondante, les yeux sont orages. C’est clair, il ne fera pas l’amour. Puis même, il n’en a plus envie. Moira a tout foutu en l’air. C’est trop tard. « Oh et puis, tu sais quoi. Prends tes affaires et va-t-en… » Sa voix est lasse aussi, se passe une main sur le visage comme alourdi par une fatigue intense.
L’autre ne bouge pas, demande à répéter dans cette attitude de nana offensée dans sa dignité.
« J’AI DIT : DÉGAGE !!! » Éructe-t-il d’une voix plus forte, la faisant sursauter, se décidant à prendre ses affaires et à partir de leur appartement.
La blonde ignore Moira qui s’est installée dans le canapé avec son coussin et sa couverture pendant que lui-même sort de la chambre pour vérifier que sa compagne d’aventures chaudes est définitivement partie et qu’il n’est resté que le point gênant : Moira.
Qu’il dévisage d’un air froid. Silencieux. C’est clair et net : elle lui a flingué sa soirée, sa nuit. Et même sa vie en cet instant. Elle ne pourrait pas être plus merdique que ce qu’elle ne l’est déjà.
Et c’est chiant.
« Je pensais avoir été clair la dernière fois. » Se contente-t-il de dire d’une voix froide. Elle devait partir. Elle devait quitter son appartement. Elle devait oublier ses idioties. Elle devait renier ce qu’il pouvait y avoir d’O’Reilly en elle, car malgré ça, malgré l’instant chargé de colère et de déception, il ne peut nier qu’elle est aussi têtue que lui.