Tip toe waltz. || ft. Sohan

Bip bip bip.
Jolie musique ; Yonah en sourit, tilte sa tête toujours plus sur les côtés, chantonnant le rythme battu par ses pieds.
Bip bip bip bip.
Elle entend le vent, les commissures relevées, le nez à l'air à la fenêtre.
Dehors, il fait blanc.
Tout autant que dans la chambre de patient.

Il la rend triste, ce blanc pur.
Blanc laine, blanc mouflon, blanc de douceur perdue.

Où sont-ils, Mama ? Les agneaux d'autrefois.
Sont-ils devenus ces nuages qui se crèvent de morceaux de glace ?

Elle a le regard au ciel, Yonah. Les jambes dans le vide tandis qu'on ne la regarde pas.
Elle voudrait tendre la main, si haut et fort qu'elle se sentirait capable de réchauffer ces bêtes envolées.

Mais elle ne peut pas.
Une dame en blanc, elle aussi.
Elle lui a mis plein de blanc sur le bras.
Du blanc dur, du blanc cassant, du blanc-bouclier autour de son poignet.

Elle a sourit, pour la rassurer.
Lui affirmer que ça ne lui ferait plus mal.

Et Yonah a pleuré, toute la matinée.
Parce qu'elle aurait voulu savoir, tout au fond d'elle, ce que ça faisait.
Elle aurait voulu dire à cette femme qu'elle était heureuse de savoir que ça disparaîtrait.
La douleur.
Ça, elle sait qu'elle n'arrivera pas à l'attraper.

La souffrance est un flocon qui s'évapore dés qu'elle le regarde. Comme un coup de soleil sur une vérité bien froide.

Soudain, son oreille se vivifie d'un son connu.
Bip bip bip bip oh ?
La porte.
Elle tord son cou pour apercevoir – tête renversée - une paire d'yeux, trop bleus, si bleus, bien bleus, qui la fascinent au point de revenir à l'intérieur, sur le sol à carreaux.
Son saut est souple, ses jambes sont gelées. Elle manque de glisser.

Mais son expression est vrillée dans une extase concrète. Une mine guillerette, perlée de paillettes, de joie parfaite.

« Chat sonnette !! »

Elle court, se jette, atterrit contre le blanc de sa blouse, à lui aussi. Elle rit. Tapote d'un doigt sa joue où elle ne trouve ni fourrure, ni moustache. Mais elle ne peut s'empêcher de l'apprécier quand même, ce grand félidé.

« Petit petit ! Minou-ami ! As-tu eu des nouvelles du Chat Botté ? »

Un gloussement s'échappe. Elle pointe de son atèle plâtrée la fenêtre encore ouverte, où s'engouffre la brise mordante de l'hiver.

Elle ne la sent pas.

Elle ne sent rien.

Son corps, jamais ne prévient.

« Eh, t'as vu ? Dehors, il pleut de la laine ! Tu crois que c'est parce que les moutons du ciel ont décidé que se couper les cheveux ? »

Elle regarde le Chat-Sonnette comme sa chimère préférée, mi-homme mi-nou, mi-fou de cet endroit à quatre murs si similaires.
Yonah déteste quand elle ne peut pas se raccrocher à une prise ferme pour observer le monde, voler lui fait peur si elle sait que ça peut l'éteindre d'un seul coup, comme une étoile explosée en des milliers de fragments.
Alors le ton de Chat-Sonnette lui fait comprendre que lui aussi, les morts d'astres l'effraie. Qu'il n'a pas envie de voir se terminer des histoires de filantes ô combien trop rapides.

Elle comprend, dans son geste entre ses mèches si peu démonstratives, coupées si tristement. Elle comprend et s'excuse en s'accrochant à son bras comme l'ancre qu'elle cherche à chaque fois qu'on lui dit de venir ici. Elle se love, cherchant sa peau sous les affres des textiles dont elle ne saisit pas toujours le besoin, même après ces mois à lui apprendre qu'ils étaient indispensables.
Comme une armure.
Mais Chat-Sonnette n'en a pas besoin, avec elle. Elle ne lui fera jamais de mal.

D'une main libre, elle entremêle ses phalanges dans les histoires du félin. Son derme est plus rugueux que le sien. Elle sait qu'il a vu tout un tas de contrées qu'elle ne connaîtra jamais, jamais autrement que dans ses récits. Elle pourrait l'écouter des heures, s'il voulait les lui miauler. Ce n'est pas faute d'essayer de lui voler quelques bribes.

Mais Chat s'ourle d'un dos rond
Parfois trop lourd, même pour lui.

Il pourrait paresser au soleil
Qu'elle viendrait s'allonger près de son pelage.

Pour l'heure, il sait comment communiquer avec elle. Yonah lève le nez vers la Pie aux Sornettes, celle qui sait que les gâteaux sont des denrées si rares qu'elle serait prête à les lui voler. Elle fronce les sourcils, gonfle ses joues, courroucée à l'idée.

« Fichu volatile. »

Qu'elle délaisse en bouche éclatée, murmure énervé. Avant de revenir vers le félidé et hausser les épaules.

« Je sais plus. » Elle sait que ça ne lui suffira pas. Elle enchaîne, ses pommettes empressées de rouge, à trouver de quoi étayer son discours décousu. « Promis promis ! Je veux pas te mentir, les menteurs vont derrière les cages. »
Mine basse et tête en friche, elle regarde finalement le plafond pour y imprimer l'image de ses souvenirs.
« Je me souviens juste d'avoir vu un Ange à l'envers. T'en as déjà vu, toi ? »

Yonah lui sourit mais penche sa tête, comme pour y chercher le sien. Son chat est morose. Elle le perçoit entre les traits, qu'elle s'empresse de toucher. Elle voudrait mettre ses doigts contre le bleu perçant de ses pupilles, dilatées selon l'heure et la Vie. Elle se retient. Vraiment très fort. Elle a appris qu'elle n'en avait pas le droit, que ces joyaux là étaient trop douloureux à posséder.
C'est un concept trop vague encore, mais elle se raccroche à l'interdit.
Comme la paroi ferme.
La réalité.

« Tu es triste pour mon bras ? » Elle se hasarde. Tente de le rassurer. « Il faut pas, il va réussir à revenir. Il s'est pas perdu dans le pays des Os, c'est la Mage Bleue qui me l'a dit. »

Une Gentille, une très Gentille, au yeux tout aussi bardés d'étincelles que ceux du Félin.
Des paillettes sombres qui se reflètent vers l'arrière.

Yonah devine bien qu'il ne s'agit pas que d'elle.
Ce lieu grouille d'histoires à lire et relire encore, pour tenter de les saisir.

« Non... c'est pour autre chose. Pourquoi tes moustaches sont aussi grises aujourd'hui, Chat-Sonnette ? »