quarter after one ± circé

Son arrivée à Exeter n’est pas aussi simple qu’elle le voudrait. Circé reconnaît que le monde n’a rien de simple pour ces âmes qui tentent encore de se trouver une place. Il y a beaucoup de peines dans le regard des autres. Beaucoup de galères aussi et si Circé s’en sort toujours de justesse, il lui est compliqué de trouver une solution pour tous ces soirs où elle n’a pas de toit. Pour tous ces soirs où elle sait qu’elle devra se vendre pour espérer obtenir l’aumône.
En soi, ce n’est pas ce qui la dérange, ayant appris à dépendre de ça. D’elle qui se vend. D’elle qui essaye de galérer à se trouver une place dans un monde qui n’a cessé de la rejeter. Sans Gali, il est certain qu’elle galère, qu’elle ne peut plus espérer une garde robe remplie, qu’elle a tout vendu pour se faire un pécule suffisant pour prendre une valise et se casser de New York.
Revenir en Russie ne lui a pas été envisageable, voyant ce pays natal comme une prison qui ne la rendra pas heureuse. Exeter, c’est Gali et d’une façon maladroite surtout, la possibilité de trouver une solution. Une vie un peu meilleure tout en gardant son indépendance pour ne plus être la chose de Gali. Et de donner la véritable chance à Circé au détriment de ces identités qu’elle s’est donnée tout au long de sa vie  dans le seul but de survivre pour ne pas mourir.
En entrant dans le bar, elle sait qu’il lui faudra trouver un toit, un gars qui la protégera d’une nuit d’hiver trop froide ou de devoir encore piocher dans les économies qu’elle a constitué en vendant tout pour rappliquer ici. Se faire payer des verres est une manière de survivre tout en sachant que si elle veut vraiment s’en sortir, elle n’aura qu’à trouver un job. Un appart et puis entreprendre sa vie d’indépendante avec cette carte d’identité que lui a fabriqué Gali. Un diamant brut de faussaire leur ayant permis de quitter le territoire américain. Aujourd’hui surtout, d’être enfin libre.
« C’est un bien grand mot… » Souffle-t-elle en faisant un signe au barman pour qu’il rapplique. Elle commande ce qu’elle aime le plus : la vodka pure avec sa rondelle de citron, qu’elle boit avec autant de facilité que ces génisses s’abreuvent de diabolo fraise.
Elle sourit, Circé. Se sent si fière d’être enfin indépendante, alimente le cerveau qui se pense puissant quand elle n’est qu’en train de chercher la compagnie d’un autre, d’avoir besoin des autres quand elle avait un seul Autre.
Il lui manque c’est vrai mais elle ne l’avouera jamais. Du moins pas à lui. Et ses entrailles finissent par se tordre parce qu’il lui est difficile d’y songer malgré tout. En dépit de ses réactions idiotes et de son cœur de glace, elle préfère alors se centrer le monde alentour, sur celui qui sera sa proie, victime de son venin. Et son choix se porte sur cet homme à la peau porteuse de l’odeur du soleil. Aux yeux océans qui donneraient envie de s’y plonger. Ce qui la surprend, c’est la douceur qui se ressent autour de lui. Ce gars, c’est pas un trou du cul comme elle en voit. Ce gars-là ne fait ressortir aucune malveillance. Rien que le genre de mec qui boit trop vite parce qu’il y a sans doute des soucis dans sa vie. Elle a appris à décrypter le comportement des hommes. De celui qui veut se vider en elle, comme de celui qui cherche du réconfort.
« De la tequila pour passer le temps ? » Elle lui adresse la parole sans attendre qu’il le fasse. Circé ne cherche pas attendre qu’il vienne à lui. Elle dégaine déjà son sourire fait de miel et de soleil, ce sourire qui s’est travaillé au fil des années à se faire passer pour quelqu’un d’autre. « Chacun ses goûts, je dirais. Ici, c’est vodka. » L’accent slave résonne entre ses lippes, roule les « r » et trahit qu’elle a vécu ailleurs. Circé prend la rondelle de citron et la porte a ses lèvres pour y déguster l’alcool fort sans jamais lâcher le gars du regard. « Tu attends quelqu’un ? » Finit-elle par ajouter de sa voix enjôleuse, le regard de velours et désireuse de savoir si elle ne perd pas son temps.

@Sohan Abott