i'll deceive my way straight to demise ((achilles&kamo))

Les écuries étaient un luxe incroyable ; les poneys, Kamo en était persuadé, étaient probablement mieux traités que les personnes employées par les gens qui les montaient. Passablement éméché, ille avait tenté de faire part de cette constatation à son compagnon de soirée sans parvenir tout à fait à articuler correctement autour des mots qu’ille cherchait. Ce n’était pas grave, de toute façon, parce que le type devait comprendre puisqu’il était en train de se servir dans une réserve qui avait l’air de contenir des légumes – des carottes ? des pommes peut-être ? – visiblement destinés au canasson. De mémoire, Kamo n’avait pas souvenir d’avoir jamais dégoté un meilleur endroit où crécher. Enfin, pour être tout à fait honnête, Kamo n’y était pas allé consciemment, mais ille s’agissait de ce qu’on appelait une erreur heureuse. Un peu plus loin, le type avait baragouiné un truc, et Kamo, parfaitement bourré, s’était hissé dans une stalle, s’était effondré dans la paille et avait dégoté un stock presque pas périmé de sandwich triangle, ce qui était quelque chose d’un peu curieux à donner à un canasson, mais Kamo était pas réellement apte à juger – à première vue la plupart des propriétaires leur filait de l’herbe périmée ce qui semblait plus cruel encore que des sandwichs triangles. Le poney avait pas spécialement l’air inquiet, de toute façon, et ne fit aucun geste menaçant lorsque Kamo entreprit de dévorer l’intégralité de sa réserve de sandwich triangle. Ille serait malade le lendemain, c’était certain, mais au moins ille n’aurait pas faim ce qui était, tout de même, une amélioration notable dans sa vie de tous les jours. À l’extérieur de la stalle, le type beugla un « gars » que Kamo, beaucoup trop fatigué pour ces conneries, ignora superbement.

Enfin, c’était pas volontaire non plus, en réalité : la tête enfoncée dans la paille et un bout de tissu rabattu sur lui, ille s’était endormi comme une pierre, la tête à moitié dans un reste de pain de mie.

Ille n’avait presque pas dormi et ille aurait pu dormir encore plusieurs heures si quelqu’un n’avait pas commencé à faire du bruit. Apparemment, même dans un box, on pouvait avoir des voisins relous et, avec un grognement déboussolé, Kamo se redressa, les yeux gonflés par l’alcool et le sommeil. Le type qui lui faisait face était une version terrifiante et bourge de lui-même ce qui n’était pas quelque chose à laquelle Kamo s’était attendu de si bon matin. Le type déversait, aussi, un nombre de paroles beaucoup trop élevé et Kamo bailla avant de s’étirer de tout son long. Le canasson s’appelait Berlioz, apparemment, et était dangereux – ça, Kamo voulait bien le croire, mais le poney avait des dents et lui un couteau, ille était quand même vachement plus dangereux que ça.

« Gars » marmonna-t-ille en se repliant sur lui-même, le menton enfoncé dans le creux de sa main. « Tu lui files de l’herbe périmé, c’est toi qui est en danger. »

Enfin si Berlioz était un peu intelligent, en tout cas, Kamo était sûr que c’était au type qu’il s’en prendrait et pas à Kamo qui avait libéré de leur prison les sandwichs dangereusement emprisonnés.

« T’aurais pas une cigarette, au fait ? » demanda-t-ille, sans vergogne, en se redressant avec un grognement ankylosé – okay, l’herbe était vachement plus confortable que son carton habituel, mais quand même. « Nan parce que j’ai pas trop envie de sortir de là et de nettoyer par contre j’ai grave envie de cloper. »

Sans gêne aucune, ille tendit la main en direction du gars, armé de son sourire le moins inquiétant.

Le type lui parlait comme s’ille était complètement débile ce qui était à la fois exaspérant et très rigolo. Le mec était blindé de thune – il avait un poney – et avait vraiment de la chance que Kamo soit beaucoup trop bien reposé pour avoir envie de lui extirper sa thune, son pantalon et sa montre. Ille le fera pas parce qu’ille était grand prince mais c’était pas l’envie qui lui manquait et ille adressa son plus beau sourire pointu au mec en question. Le mec, la personne, le truc, maintenant qu’ille le regardait bien, était définitivement vraiment un portrait craché et terrifiant de ce que Kamo aurait pu être s’ille avait été blindé de thunes ce qui n’était pas aussi réjouissant que prévu. Titubant, ille se releva, étiré de tout son long dans l’écurie. Si n’importe qui d’autres que le bourge l’avait bloqué dans une stalle, Kamo aurait sans doute vu rouge, mais ille ne se sentait pas vraiment menacé, malgré le soi-disant danger que représentait Berlioz et l’espèce de mépris inquiet du parasite qui lui servait de proprio. Kamo avait l’habitude des mépris inquiets : la plupart des gens qui lui parlait arborait ce genre d’expression, mélange affreusement exaspérant de pitié, d’inquiétude et de dégoût, de soulagement de ne pas être lui et de culpabilité de penser à ce genre de choses.

« Si je l’ai fait, tu vas faire quoi ? » chantonna-t-ille. « Je veux dire, évidemment, ton truc il bouffe de l’herbe, je suis pas un barbare, peut-être que j’ai décidé de partager. »

Comme un magicien, ou comme le mime débile parisien – peut-être qu’ille s’était renseigné sur Paris à la bibliothèque à cause de Lou, peut-être – ille haussa exagérément les épaules, les mains écartées en un faux signe de paix. Kamo ne proposait jamais la paix, c’était un fait, mais ille était presque certain que l’autre était suffisamment stupide pour le penser vraiment complètement débile et le prendre au sérieux. Le gars avait visiblement pas croisé beaucoup de gens qui crevait la dalle dans sa vie : pas moyen que Kamo partage avec qui que soit d’autre que Molly et Bee la nourriture bénie qui lui était tombée dans les mains.

« Tu sais, machin, déjà la politesse c’est de se présenter quand on réveille quelqu’un et ensuite peut-être qu’on parlera de ranger ou je sais pas. » Du bout du pied, presque négligemment, ille poussa un emballage de sandwich. « Peut-être que c’est toi qui est pas trop respectueux de laisser mariner à bouffer quand d’autres ont rien à grailler. »

Ille était trop tôt pour parler politique et de toute façon Kamo n’était pas assez calé pour ça. Tout son engagement se résumait à « Eat the rich » qui était un slogan qui sonnait bien en théorie mais qui effrayait lorsqu’on le mettait en pratique. Avec un petit soupir condescendant, ille leva les yeux vers l’étranger, lui adressa à nouveau son plus beau sourire : celui qu’ille réservait aux déclarations de guerre et aux coups foireux :

« Tu sais, je vais être sympa et faire comme si t’étais pas un affreux bourge qui pense que tout le monde est un lit. File une clope et on en parle plus ? »

C’était absolument pas un bon deal pour l’autre mais Kamo n’avait jamais prévu de le laisser gagner de toute façon.

Le gars lui donnait des ordres et, une fois n'était pas coutume, Kamo se montrait conciliant. C'était peut-être parce que le gars se rebiffait ou peut-être parce que Molly lui manquait et que le canasson avait l'air d'être la Molly du type - même si ça lui échappait un peu. D'un geste nonchalant, ille attrapa le sac et le lui lança, avant de le bombarder sans ménagement des emballages qu'ille avait laissé trainer au sol. C'était pas de la bonne volonté, pas vraiment, mais presque et c'était tout ce que Kamo avait à offrir pour le moment. Ille aurait pu, évidemment, rebondir sur ce qu'Achilles lui raconter, mais ça aurait été apporter trop de crédit au traumatisme visible de quelqu'un qu'ille ne connaissait absolument pas ce qui était probablement contraire à la convention de Genève selon Kamo. Ou quelque chose comme ça, en tout cas. Possiblement. N'empêche que ça le titillait.

"Écoute, peut-être que pour me remettre les idées en place tu devrais me fracasser le crâne contre un coin de table comme mon père a fait à ma mère."

Ok, le coup était bas (même plus que ça) et même si Kamo avait l'air particulièrement décontractée, ille était particulièrement conscient d'avoir amorcé lui-même une grenade qui risquait d'exploser entre les mains du gars au moindre faux-pas. D'un autre côté, c'était tout l'intérêt de la chose. Un emballage entre les doigts, ille observait avec une attention malsaine le visage d'Achilles, à la recherche de quelque chose qui lui donnerait un indice sur ce qu'il pensait.

"Je m'appelle Kamo, à propos." C'était pas vraiment ce qu'on lui avait demandé, mais ille était presque sûr que l'information ravirait le mec. "Je dors dans la rue, le reste du temps, mais je voulais prendre des vacances, changer d'air, tu vois, faire une croisière de luxe en sommes."

C'était du foutage de gueule, oui, mais c'était bon enfant, ce qui était assez rare pour être mentionné. Kamo avait plus de mots pour tuer que de mot pour égratigner. Ille observa Achilles, une seconde de plus, finit par ramasser toutes les ordures qui trainaient au sol en une grande brassée presque enfantine, comme s'ille avait enfin fini de jouer avec les nerfs de son nouvel ami.

"Des fois je promène mon chien, je pensais pas que les canassons aussi avait besoin d'être sortie, les meufs de Grand Galop faisaient pas ça. Tu lui montes dessus ou tu marches à côté ?"

Ille aurait pu poser mille autres questions, mais c'était la seule qui lui venait à ce moment précis. Les questions plus utiles viendraient peut-être après, quand ille ne serait plus en train de transporter une masse indistincte de détritus, la cigarette offerte coincée derrière l'oreille, au milieu de la masse emmêlée de ses cheveux. Si Achilles était sage, Kamo lui raconterait peut-être pourquoi ille connaissait Grand Galop.