Il ne s'est certainement jamais senti aussi con. Pourtant, en quarante ans, c'était pas les occasions qui avaient manqué. Entre les nuits à tituber sur les trottoirs et à plus connaître son putain de nom, les filles non-je-ne-suis-pas-intéressée, les diners mondains dans la famille de Vivian à sourire comme un abruti à tout ce qu'on lui disait, je vous jure que la liste était longue ; mais tous ces moments semblaient à l'instant complètement insignifiants, en comparaison de lui et de sa dégaine décharnée, faisant le pied de grue au pied de cet immeuble délabré. Dix ou quinze minutes qu'il est planté là, il a eu le temps de fumer deux clopes et s'allume déjà la troisième ; à ce rythme-là, ses poumons prendront la couleur du périf londonnien avant même son prochain anniversaire. En supposant que ça ne soit pas déjà le cas, mais passons. Il se sent con, nous disions. Parce qu'il sait même plus à quel moment il a trouvé que l'idée de se pointer chez Rex comme une fleur des champs était bonne. Il pensait lui dire quoi, hein ? Salut mon frère, ça fait un bail je sais, j'peux entrer ? Il serait au mieux chanceux que l'autre se contente de lui claquer la porte au nez, mais à sa place, il se gênerait certainement pas pour le lui fracasser. Dix ans, il parait que c'est le genre de trucs qui se pardonnent pas, même entre frères. Surtout entre frères. Parce que les frères ne se quittent pas, encore moins pour une fille ; et s'ils ont la stupidité de le faire, ils font au moins semblant de se donner des nouvelles, de prétendre que la distance c'est rien à côté des liens tissés. Lui, il avait même pas eu l'élégance d'essayer. Il aimerait bien dire que c'est sa faute à elle, qu'elle lui avait lavé le cerveau et qu'il a passé dix ans avec les yeux pas tout à fait en face des trous. Ça serait pas complètement faux, mais pas complètement vrai non plus ; et puis de toute façon, il n'a jamais aimé rejeter ses fautes sur les autres – c'est bien un des seuls trucs qu'on peut lui accorder, à cet enfoiré. La vérité, c'est qu'il a pigé très vite qu'il avait fait une énorme connerie en partant ; mais l'égo, vous savez. Il n'avait pas eu le courage de mentir à ses frères de toujours en prétendant être comblé, alors qu'il faisait déjà un effort surhumain pour se mentir à lui-même. Et puis au bout de quelques années à faire le mort, c'était trop tard pour faire marche arrière, pour les appeler ou j'en sais rien, prétendre en avoir quelque chose à foutre alors qu'il n'avait pensé qu'à sa sale gueule. Max était une tonne de choses ; acariâtre, colérique, impulsif, borné, orgueilleux, mais il n'était pas menteur, ou hypocrite. Lâche, peut-être un peu. En tout cas, il l'avait été avec eux.
La fumée blanchâtre s'élève dans le ciel noirci, se trouble lorsqu'elle frôle les lueurs des néons qui clignotent sur le trottoir d'en face. Ses paupières se baissent jusqu'à ses doigts, un peu plus bas ; il a consumé sa clope jusqu'au filtre, à croire que toute seconde supplémentaire passée à se détruire les poumons était une bonne excuse pour ne pas monter. D'un geste agacé, il jette le mégot dans le caniveau, renifle avec dédain en levant les yeux sur l'immeuble. Max, bouge toi le cul, espèce d'enfoiré. Alors enfin il se décide, il entre dans l'immeuble et grimpe les marches des escaliers. Lentement, certainement. Faut dire qu'il est pas certain d'avoir hâte d'arriver sur le pallier. Et puis devant la porte, une autre suspension, une autre hésitation. Putain, il ne s'est jamais senti aussi con. Mais il sait que ça fait déjà dix ans et que ça serait juste stupide d'attendre encore, alors il plaque la main sur la sonnette. Puis regrette. De toute façon, reculer maintenant serait malhonnête. Le cliquetis de la porte a quelque chose de funeste ; parce qu'il sait toujours pas ce qu'il va dire, bordel, il sait toujours pas ce qu'on est sensé dire quand on a joué au con mais qu'on regrette, quand on rampe à la porte des frères qu'on sait avoir abandonnés. Quand on n'arrive pas soi-même à trouver une seule putain de raison de se pardonner.
Rex a pris un coup de vieux, lui aussi. À moins que ce soit l'illusion créée par son visage fermé, pourtant si familier. Merde, il lui a manqué l'enfoiré. Sauf qu'il n'a pas le droit de le dire, de le penser, il a perdu ce droit au moment où il a fait le choix de les laisser tous les trois sur le bas-côté. Il y a une seconde de silence qui traine entre les deux frères, et durant un instant, l'étendue de ce qu'ils ont perdu ces dix dernières années est flagrante ; la jeunesse, l'exaltation, jusqu'à leur propre fraternité. Ils sont plus que deux carcasses cabossées, tordues et rapiécées, enveloppes remplies d'aigreur ou de rancoeur. Il ne s'est jamais senti aussi con. Le regard droit, Max observe le visage de son acolyte perdu sans ciller, presque stoïque, avec cet aplomb propre à ceux qui n'ont plus rien à perdre depuis longtemps.
— Si tu veux me péter le nez, fais ça maintenant, et vite.
Invité Invité
Sujet: Re: and we've bitten the dust — feat. Rex Mer 17 Fév - 16:01
If we meet again in the next life, I will be your sworn enemy and I will show you no mercy.
max et rex ; & aftermath pour l'icon
Max, le dernier type sur terre qu'il s'attendait à voir. En dix ans, Rex en avait connu des sentiments à son égard, tout un tas. A commencer par la colère, puis par la tristesse aussi, même si l'avouer était une autre histoire. Puis il y avait eu la rancœur et l'oubli. Estrela avait foutu le bordel, il avait perdu sa fille et soudainement, le départ d'un de ses frères lui avait semblé si peu. Il s'était contenté d'enterrer l'amertume mais maintenant qu'il le voit, le goût est corsé. Son corps se crispe et ses épaules lui semblent lourdes. Avec les frères, ceux restés sur ce champs de bataille, ils s'étaient mille fois jurés qu'ils finiraient par le retrouver et lui refaire le portrait mais ce n'était que des conneries. Ils le savaient, le disaient simplement pour calmer leurs nerfs. Ils ont tout juste assez de fric pour se payer à bouffer alors passer sa vie à courir après un type qui ne veut plus les voir, même pas en rêve. Les voix de la télévision au volume trop fort se mélangent à celle de Gunn. Et Eden reste là, impassible. Il le regarde sans savoir s'il doit lui en mettre une tout de suite ou lui claquer la porte au nez. Incapable de dire s'ils se connaissent encore ou si dix ans, c'est bien trop long pour avoir encore quoi que ce soit en commun. Ils ont tous les deux pris des coups dans la gueule, ça se voit. Même loin d'Exeter, Max a pas su esquiver les torgnoles que fout le destin. Tant mieux. Pour qui il se prenait ? Qu'est-ce qu'il espérait ? Est-ce qu'il était parti en se disant que s'il y arrivait pas avec la vie, c'était à cause d'eux ? Les mauvaises fréquentations et toutes ces conneries là. Se serrer les coudes dans la merde, ça n'avait pas de sens. Et probablement qu'ils ont toujours été un peu cons, les trois derniers, de pas se lâcher, qu'importe les opportunités et les horizons bien plus larges que leur amitié. Alors, Gunn se ramène et les souvenirs où il n'était pas là reviennent à la gueule d'Eden. Quand il a perdu la garde de sa môme, il aurait aimé que son frère soit présent. D'accord, il y avait les autres mais chacun possède sa sensibilité propre. Si ça se trouve, les conseils de Max auraient changé toute la donne ou alors pas du tout … ou bien qu'il aurait encore plus foutu la merde dans la tête de Rex. Mais personne n'en saura jamais rien. Jamais. Car le problème est là : être de retour, cela signifie que l'on s'est barré, suffisamment longtemps pour s'en prendre plein la tronche et réaliser que tout a changé pendant qu'on était pas là. Dix ans plus tôt, Rex aurait déjà lâché quelques mots. Il aurait fait ça sous le coup de l'impulsivité et de la colère mais là, il se sent vide, d'abord. Max lui parle de le frapper et c'est étrange mais cela déclenche en lui cette violence physique qu'il aurait préféré endormir pour passer plus vite à autre chose. Le combattant redresse sa main cassée et la douleur n'est rien quand il le frappe brutalement au visage. Un coup bien visé, en plein dans la mâchoire, qui ne le soulage même pas. J'espère au moins qu'ça en valait la peine. Dix ans de silence pour finalement se retrouver là, Rex se doute que comme tous les pauvres types comme eux, Max n'a rien trouvé de l'autre côté de l'horizon.
Eden se masse la main, grimace et le fixe avec froideur pour le tenir à distance. Il ne le voit pas seulement comme un traître ou un adversaire mais toujours comme un frère. C'est ce qui rend le moment plus douloureux encore et Rex bien plus incisif et agressif. Si un connard se trouvait en face de lui sans jamais lui avoir donné la moindre confiance, les choses couleraient. Il aurait la haine mais ce serait comme avoir la dalle, il aurait qu'à manger un bout pour que ça passe. Avec Max, tout prend une dimension bien plus profonde. Ils ont pas seulement dix ans d'absence à avaler mais toute une vie passée ensemble à se remémorer. Gunn devait se conjuguer au passé jusqu'à la fin, c'était ça le deal, même pas lui accorder une conversation, encore moins un coup de poing dans la tronche alors qu'ils ne savent faire que ça. Se battre pour éviter les justifications, laisser parler les poings, les phalanges brisées, se péter le nez pour s'avouer que rien n'est oublié. La seule chose qui n'a pas changé avec Rex, ce sont les mots. Toujours coincés quelque part dans ce grand corps massif et fatigué, même pas foutus de trouver la sortie jusqu'à ses lèvres. Un silence fade, presque morbide, suspendu dans leur malaise, voilà ce qu'il est.
La douleur éclate dans la mâchoire, remonte jusqu'aux sinus, aux tempes qui vrombissent, qui fourmillent. Les dents ont cogné la lèvre, et un goût de ferraille sur sa langue lui fait comprendre qu'il doit saigner. Un peu. Il s'en fiche. En fait, il pourrait presque se dire heureux. Entendons-nous bien, il a jamais été de ces instables masochistes qui trouvaient dans la douleur quelque chose de gai et addictif ; mais dans leur cas, ce crochet du droit est un premier pas. Faut bien comprendre un truc à leur sujet, si on veut saisir ne serait-ce que la moitié de leur essence : ce sont des putain de bêtes sauvages qui s'expriment à la manière des clébards enragés. Ils mordent et puis après, ils causent. Éventuellement. Mais le pire chez eux, c'est d'indifférence, c'est le silence des poings et des mots cousus aux lèvres, le silence des regards, le silence des égards. Alors un crochet du droit, c'est une petite victoire. Parce que le pire, ça aurait été que Rex ne fasse rien, strictement rien ; qu'il se contente d'une phrase type et molle, un truc conventionnel, au conditionnel. Il préférait le voir en colère plutôt que vidé de toute réaction à son sujet, parce que ça voulait dire qu'il était toujours quelque chose. Et même s'il n'était qu'un traitre ou un enculé fini, c'était déjà ça.
Sous le choc du coup décoché, la nuque a brusquement pivoté et le haut du dos s'est courbé. Par réflexe, Max passe la paume de sa main sur sa mâchoire douloureuse, geste machinal qu'il a gardé de ses jeunes années. Et curieusement, y'a là un sourire qui forme une virgule sur son visage, juste à la commissure de ses lèvres ; un truc discret et amer, pas le genre de sourire joyeux mais plutôt type rictus noir. À peine avait-il relevé le menton qu'il avait disparu : mais était-ce le soulagement de se voir accordé un peu d'intérêt, ou alors la phrase que Rex venait de prononcer ? J'espère au moins que ça en valait la peine. Si c'était le cas, tu crois que je serais là ? Il a envie de lui dire. Mais ça serait comme souligner une nouvelle fois qu'un jour, il y a dix ans de ça, il avait choisi de les faire passer, lui et les autres, comme un second choix. Et même s'il ne le nierait pas, le formuler était inutile. Il se sentait déjà suffisamment comme une merde. Toujours est-il que l'affirmation énoncée a quelque chose de presque comique, tant elle est éloignée de la réalité ; sauf qu'il savait parfaitement que Rex n'attendait pas de réponse. Pas vraiment. Il devait bien se douter que s'il était là, c'était bien parce que tout avait encore fini par foirer, et puis sûrement par sa faute. En somme, du grand, du pur Max ; une passion pour le désastre, pour faire du chaos un genre de faste. Mais il y a quelque chose de douloureux, dans l'exercice qui consiste à regarder son vieux frère droit dans les yeux. Parce que ce regard-là, il ne le connait pas. Je veux dire, ils s'étaient déjà embrouillés par le passé, pour des conneries, des nanas, des histoires à la con qu'ils oubliaient sitôt la journée finie ; là, c'est pas pareil. Rex, il le lorgne comme un étranger, mais un étranger vaguement familier, quelqu'un qu'on sait avoir connu, mais dans lequel on peine à retrouver les fragments de ce que la mémoire avait retenu. Deux chiens de faïence, voilà ce qu'ils sont, regardez ces deux abrutis handicapés des mots justes, des tournures correctes et des phrases toutes prêtes. C'est vrai qu'ils ont toujours été un peu socialement inadaptés. Pardonnez. À pas savoir quoi dire, quoi faire, c'est que le mode d'emploi était pas fourni, quand on se retrouvait dix ans plus tard devant son traitre de frère. Là, face à face, les deux regards se jaugent. Brun et vert. Mornes, moroses, même pas l'élégance d'y caler un brin de psychose. Laissons ça à leurs jeunes années, la vérité c'est qu'ils sont fatigués. En tout cas, Max l'est. Il ne sait même plus pourquoi il est venu, pourquoi il a tant voulu se confronter à tout ce qu'il avait perdu ; à quoi il s'attendait, hein ? Il pivote les yeux, fixe vaguement un point sur le cadran de la porte. Il parait qu'il fait toujours ça lorsqu'il s'apprête à dire un truc important, qu'il peut pas s'en empêcher ; comme si les mots le mettaient si peu à l'aise qu'il se devait de soustraire son regard à toute chose qui aurait pu le déconcentrer.
— J'ai toujours fait des choix de merde, et j'ai jamais été foutu de les assumer jusqu'au bout, Il finit par lâcher. Il a toujours fallu que j'fasse tout foirer.
Pause. Entre eux, le silence est sombre et pesant. Et il y a une forme de lassitude qui traine dans le regard de Max, comme une crasse qu'on n'aurait jamais pu récurer. Un truc maussade. Il renifle vaguement, ne le regarde toujours pas. À croire que ce tour de porte est vraiment passionnant.
— J'le pigeais pas, quand on était gamins, Il reprend d'une voix morne. Mais tu vois, j'crois que le seul bon choix que j'ai fait dans ma putain de vie, c'était... Enfin c'était vous.
Ça a jamais été son truc à Max ; les mots bien choisis, les mots sincères. Les rares fois où il choisissait de s'exprimer sur un truc qu'il ressentait, il se sentait aussi à l'aise qu'un piaf dans un bain de mazout, avait l'impression de tout dire de travers. Puis faut dire qu'il a cette façon de parler aussi ; salement stoïque, l'air un peu dur, peu importe ce qu'il pouvait bien dire. À croire qu'il avait juré un jour de pas laisser son visage trahir la moindre de ses déconvenues. Mais il parait que c'est ce qui arrive, quand on est éduqué comme un chien de rue. Finalement, les yeux se tournent lentement vers le visage d'Eden, et il constate que rien dans ses traits n'a cillé.
— Même venir ici, c'était certainement une idée de merde, je sais. Mais maintenant t'as deux choix. Soit tu fermes cette porte et j'te jure que t'auras jamais plus à voir ma gueule, soit tu m'laisses entrer et tout t'raconter.
Invité Invité
Sujet: Re: and we've bitten the dust — feat. Rex Sam 27 Fév - 0:56
If we meet again in the next life, I will be your sworn enemy and I will show you no mercy.
max et rex ; & aftermath pour l'icon
Les coups. Fut un temps où ils lui faisaient encore quelque chose. Rex finissait la gueule cassée et les poings défoncés puis il avait la sensation d'être vide. De plus vraiment exister. C'était un sentiment agréable. Il foutait sur la tronche de ses petits voisins pour se détacher de la pellicule poisseuse que posait son père sur ses épaules. C'était un comportement égoïste. Un truc dégueulasse. Mais qui lui faisait du bien. Aujourd'hui il frappe mais la douleur est toujours là. Elle est une part de lui et il a beau retourner la scène dans sa tête, rien ne change. Il y a dix ans, Max a cessé de donner des nouvelles. Il a quitté la rue comme si elle n'avait jamais existé. Silas, Nox et lui sont devenus des fantômes parce qu'il l'avait décidé. Pas de discussions. Pas de justifications. Juste son départ. Un jour il était là, ils se marraient et le lendemain plus rien. Non, en réalité, c'était plus évident. Rex le sentait s'éloigner car il y a des choses que des frères ne peuvent pas se cacher. Des amis encore moins. Il avait eu envie de lui en parler parfois mais les mots lui étaient restés en travers de la gorge. Il sont toujours là, d'ailleurs et se sont fossilisés, les salauds. Maintenant, quand il déglutit, Rex a mal à la gorge. Son corps est tiraillé entre l'envie de continuer ce qu'il a commencé ou celle de le laisser là, devant sa porte et oublier. Max parle et c'est comme un écho. Comme s'il était encore dans le passé, dans l'absence et qu'Eden l'attendait dans le présent. Il a envie de lui dire que c'est trop tard, que ce n'est pas la peine mais une force invisible l'en empêche. Ça changerait quoi ? de lui dire tout ça ? Rien. Alors il fait ce qu'il sait faire de mieux : il se la ferme. Les chiens ne savent que grogner, aboyer ou mordre. Il ne sait pas discuter. Il ne sait même pas ce que Max fout là, ce qu'il espère, ce qu'il attend.
Le seul bon choix.Eux. Les cabots des rues. Les saletés pleines de sang et de rage. Ceux qu'il a laissé tomber malgré tout parce qu'ils les voyaient comme acquis. Parce qu'il était certain de ne pas pouvoir les perdre, Max avait décidé de les mettre à l'épreuve. Maintenant qu'il est certain qu'il lui faudra se battre pour espérer avoir à nouveau leur sympathie, le voilà, là, con et fatigué par les années. Rex le fixe et bizarrement, il n'y a pas la moindre trace d'agressivité dans ses yeux. Ses pupilles glissent sur les traits de Gunn. Il le regarde sans avoir la crainte de le faire. Il le fait comme si dix ans ne s'étaient pas passés. Tu veux que j'te dise quoi ? Ses mots coulent sur ses lèvres, pas maladroits, juste fatigués. Lui accorder une discussion est une première trahison pour les siens. Il le sent, dans ses tripes. Silas et Nox pourraient ne pas lui pardonner de laisser parler les absents.
Sa colonne vertébrale se fige brutalement, il a la sensation qu'une barre de fer le maintient bien droit dans l'encadrement de la porte. Eden plus grand, son regard lourd et las dévisage Max. La bête soupire et Rex termine par lui laisser juste assez de place pour entrer et fermer la porte derrière eux. Son appartement était le même dix ans plus tôt, les jouets de sa gosse en moins qui traînent un peu partout. La tapisserie est toujours là, tout comme le canapé, recouvert de tâches qui ne partent plus de leurs soirées lorsqu'ils savaient pas encore que la vie avait prévu de les séparer. Tout est intact, y compris cette photo d'eux encadrée alors qu'ils n'avaient même pas trente piges. Le temps est passé sur toute la ville, s'est écrasé contre leur gueule mais ces lieux n'ont pas bougé. L'âme de Rex aussi est la même. Elle s'est à peine esquintée. Car Max avait été l'un de ses plus gros séismes. Il aurait voulu faire le poids face aux tentations. Avoir suffisamment d'influence pour que Gunn revienne les semaines qui suivaient pour demander pardon et plus les quitter. Il aurait accepté, sans rien dire. Mais dix ans. Dix ans merde. Rex se dirige d'un pas lourd jusqu'à la cuisine et s'installe à la minuscule table qu'elle contient. Eden ne sort pas les bières, il ne les réserve qu'aux amis. Max n'en est plus un. C'est une masse informe. Un imposteur ressemblant à son frère mais celui qu'il a connu se trouve quelque part dans le passé. Il ne se laissera pas berner. Les mots, Rex ne les prononce plus. Douleur farouche, ses yeux clairs le jaugent. Il attend.
Il ne saurait même pas dire s'il s'était attendu à ce qu'il accepte, à ce mouvement de corps vers la droite, silencieux, pour le laisser entrer. Non, il ne l'avait pas prévu. Peut-être avait-il même demandé une occasion de s'expliquer juste parce qu'il le devait, mais sans y placer d'espoir réel, ou fondé, à tel point que lorsque Rex accepte, Max est désarçonné. Évidemment qu'il n'en montre rien, ou pas grand chose ; mais il existe cette nano-seconde de flottement, d'hésitation, avant qu'il ne se décide à se saisir de l'invitation. À rentrer. C'est quelque chose, de se retrouver ici ; parce que chaque meuble, chaque objet est à sa place, tels qu'il les avait quittés. Tout est d'une familiarité violente, flagrante, de la couleur de la tapisserie aux odeurs, jusqu'à la lumière des lampadaires qui filtre à travers la fenêtre. Rien ici n'a changé : ce sont eux, qui sont différents. Et cette constatation a quelque chose de terrible, le genre de pensée qui vous enserre les tripes sans les lâcher, façon camisole de force, impossible à rejeter ou ignorer. À peine entré, Max s'arrête, et le bleu sombre de ses yeux balaye la pièce, trimbalé entre le soulagement illégitime d'y retrouver ces bribes de souvenirs abandonnés, et la sensation d'y être désormais étranger. Lui qui avait toujours cultivé le don de se mouvoir en chaque lieu avec aisance et flegme, de faire de tout espace son royaume auto-proclamé, voilà qu'il se sentait apatride, mal à l'aise. Dans cet appartement où il avait passé tant de temps, il n'était plus le bienvenu. Devant lui, Rex s'avance jusqu'à la petite cuisine, s'avachit sur l'une des chaises, avant-bras posés sur la table, regard levé. Rien ne transparait, si ce n'est une lassitude immense, et peut-être l'incertitude du choix qui avait consisté à le laisser entrer. Tout se joue là, maintenant. Max en est conscient. Alors, le voilà qui imite son ancien ami et qui s'installe à son tour. Il a l'impression de mimer une scène déjà écrite et dont chaque protagoniste connaissait les enjeux à l'avance, les expressions à adopter. Pour eux, la tâche n'était pas compliquée : lors des moments de discorde, il leur avait toujours été difficile de se vêtir d'autre chose que d'un visage égal et imperturbable – qu'importe le chaos qui pouvait bien régner au creux de leurs esprits. Et au sein de cette partition monocorde, les seules notes, les seules vibrations tenaient dans de faibles tressaillements, des mimiques mal réfrénées, sortes de débris d'une sensibilité cent fois bafouée. Leurs regards se confrontent une nouvelle fois, sans ciller. Mais cette fois, Max ne s'en détourne pas ; il lui doit bien ça, cette frontalité, cette honnêteté sans détours.
— Je pensais pas que les choses se passeraient comme ça, Il commence simplement. Au début, je me disais que partir loin changerait pas tout, qu'il suffirait de s'appeler, ou j'en sais rien. Mais je l'ai pas fait, j'ai jamais réussi à le faire.
Il marque une pause. Les paupières battent une fois, lentement, comme elles-mêmes lasses, trois fois trop lourdes de soutenir le regard de l'autre. Il déteste devoir s'exprimer à voix haute, Max ; parce qu'il a l'impression tenace que les mots sortent toujours déformés, monstrueux, que le langage ne constitue qu'une trahison de sa pensée, une sorte de version dissonante et fausse de ce qu'il voulait manifester. À chaque phrase, la frustration semble plus grande, plus forte, mais il n'a paradoxalement pas la possibilité de s'arrêter ; car parler – ou plutôt, essayer de le faire – est sa seule porte de sortie.
— J'crois que j'ai compris tout de suite que c'était une connerie, Il reprend, le ton morne. Mais j'avais pas les tripes de l'admettre. Pas seulement à vous, mais... Ouais, à moi-même. Vous appeler, vous revoir, ça m'aurait forcé à l'faire, et j'ai pas eu le courage. Me mentir, ça, c'était facile. Devenir un connard. Facile.
Il renifle avec dédain, plonge la main dans la poche de son vieux blouson pour en sortir son paquet de clopes, dont il extirpe l'une d'elles. Machinalement, elle roule entre ses doigts sans qu'il ne l'allume, et pendant plusieurs secondes, Max a l'air absorbé, presque courbatu. Ses quarante ans n'ont jamais pesé aussi lourd.
— Puis quand j'ai pigé, c'était trop tard, Il énonce platement en plaçant la cigarette entre ses lèvres, actionnant avec automatisme le briquet métallique pour en faire jaillir la flamme. J'avais plus l'droit de regretter, plus l'droit de retourner en arrière, plus l'droit de revenir ici et demander pardon. Alors j'me suis dit qu'il valait mieux essayer d's'y faire, de plus seulement prétendre être ce trou-du-cul en chemises, mais de le devenir.
Un drôle de sourire se niche au coin de ses lèvres alors qu'il laisse la clope grésiller ; un truc sardonique et éteint, dénué de toute gaieté. Lentement, son regard se baisse sur le sol de l'appartement, à l'endroit où traine un jouet d'enfant – certainement un qui appartenait à sa gamine – et s'y fixe avec lassitude.
— Puis, y'a eu cette histoire de môme.
Invité Invité
Sujet: Re: and we've bitten the dust — feat. Rex Lun 1 Mar - 0:52
If we meet again in the next life, I will be your sworn enemy and I will show you no mercy.
max et rex ; & aftermath pour l'icon
Il s'est imaginé la scène plusieurs fois. Dans ses pensées, elle faisait plus de bruits. Rex gueulait, jouait des poings, lui jurait de le tuer tout en le chassant de chez lui mais la vérité est tout autre. La tête ne pense qu'avec la douleur et les sentiments. Elle n'est que ça, influencée par le chagrin et tout ce que l'on a traversé. Elle rend les choses plus puissantes et démesurées, donne du courage, développe la violence mais elle se leurre. La réalité est toute autre. Elle brûle le corps, anéanti le courage et nous laisse léthargique. Rex le regarde prendre place. L'agressivité n'est déjà plus là car prendre le risque de le voir partir à nouveau sans même un mot est plus douloureux qu'accepter ce qu'il a à lui dire. Les mots de Max, il aurait voulu les entendre plus tôt, à travers un téléphone ou dans un courrier qu'il aurait trouvé le courage de lui écrire mais pas maintenant. Pas avec dix ans de retard, pas bordés de solitude. Le timbre de Gunn porte le goût de l'échec que Eden ne connaît que trop bien. Sa mâchoire se serre et il ne sait pas, s'il doit l'insulter, lui dire que c'était prévisible ou si c'est juste bien fait pour sa gueule. Ce type qui lui fait face, cet ami d'autrefois lui arrache toute sa témérité. Il a plus de réactions logiques. Ses épaules sont lourdes. Il écoute mais son cœur peine à synthétiser l'empathie. Il a encore trop mal pour se faire à l'idée que Max soit revenu.
On s'était dit qu'tu reviendrais jamais. Il aurait préféré ça, le savoir ailleurs, l'imaginer si loin et trop heureux pour penser à eux. Savoir que tout ce sacrifice n'a finalement mené à rien lui fait plus mal que l'idée de le penser trop bien pour leur loyauté. Car Max l'a pensé, n'est-ce pas ? Qu'ils pouvaient être dispensables et que l'amitié était une donnée négligeable. Leur meute, tout ce qui leur donnait autrefois le courage de continuer malgré la merde dans laquelle ils évoluaient. Tu peux pas savoir tout c'que tu nous as pris. T'as pas fait qu'partir et penser qu'à toi. Il aurait accepté, Rex, qu'un des siens lui dise au revoir pour tenter de se reconstruire. Il aurait souffert mais il l'aurait accepté comme on accepte de voir partir quelqu'un qu'on aime en espérant qu'il devienne heureux à défaut de l'être soi même. Son souffle se coupe et Eden attrape une mie de gâteau laissée par Rocky sur la table, la roule sous ses phalanges pour tenter de se détendre. Nous quatre, c'tait tout ce en quoi on croyait et ce pour quoi on s'battait. Sa gorge se serre et son regard dévie en même temps que le sien sur les jouets de Pearl. Sa gamine. Celle de qui il ne parle pas, ou si peu. Rex se tend mais s'efforce de continuer le chemin qu'il a pris. Les mots lui manquent, se moquent de lui, gamin mal élevé pas foutu d'aligner trois phrases sans avoir l'air con. Tu nous l'as enlevé et tu nous as laissé nous démerder et vivre avec la peur au bide qu'un autre s'tire et nous laisse tomber, encore. On espérait d'jà plus rien et on pouvait même plus croire en nous. Sa voix rauque l'aide à garder la face tout en laissant le passé le pénétrer et briser une fois de plus ses croyances. Il aurait aimé que Pearl soit là et qu'elle rencontre Max, de sa conscience d'enfant qui ne sait pas qu'elle aussi sera un jour déçue de ses amis, des gens qu'elle aime, à qui elle aura donné sa confiance. Sa présence l'aiderait à être moins dur et sur la défensive. Elle est la meilleure part de lui. T'étais mon frère Max. Il marque une pause. Il a mal mais ne le montre pas. T'aurais mieux fait de rester loin d'nous et me laisser le loisir de croire que t'étais devenu tout c'que tu voulais. C'était plus simple d't'en vouloir et de s'dire qu'au moins t'avais pas tout gâché pour rien. Rex arrête de le regarder. Son regard glisse sur la fenêtre et fixe ce ciel noir et profond, comme son amertume.
Et puis soudain, Rex parle. Je veux dire, il parle vraiment, il laisse les monosyllabes au placard et de ses lèvres sèches s'échappent les mots qui heurtent, les mots-vérité, les mots-blessures. Les mots-fêlures. Ceux qui s'approprient soudain une liberté qu'ils ne s'accordent que trop rarement, jouissent d'un espace qui leur est étranger. Car comme Max, ou peut-être même plus encore, Eden n'est pas de ceux qui s'épanchent sur leurs tourments et qui se donnent la peine de les formuler. La difficulté est trop grande pour les types comme eux, et il suffit qu'ils pensent seulement à le faire pour que leurs langues s'assèchent, que leurs corps se tendent comme ces enfants à qui on demande de réciter une leçon devant leur classe. Lorsqu'ils s'essaient à l'exercice, ils ne sont que des regards fuyants, des doigts crispés et des mimiques qu'ils peinent à réfréner, tous symptomatiques du malaise qui les dévore. Ce terrain, celui du langage, ce n'est pas le leur. Mais comment auraient-ils pu entrer en contact avec l'étranger qui leur faisait face, si ce n'est que par celui-là ? À s'asseoir face à face de cette façon, regards rivés comme deux inconnus cherchant à exhumer de l'autre les vérités déchues, ils s'étaient condamnés à cette terreur langagière, ils s'étaient piégés. Alors d'une certaine manière, Max ne pouvait s'empêcher d'écouter les mots de son ancien ami avec un silence de plomb, presque religieux, sans jamais l'interrompre ; parce qu'il savait pertinemment ce que ceux-ci lui coûtaient. Et il éprouvait déjà de la gratitude de se les voir accordés, même si chacun d'eux semblait creuser un peu plus en lui le gouffre de cette honte sans fin ; pire, il avait l'impression d'en découvrir de nouvelles galeries souterraines à chaque phrase prononcée, de voir mises en lumière des conséquences à ses actes passés qu'il n'avait même pas réussi à imaginer. À chaque seconde, c'était ses tripes qui se resserraient un peu plus, ses paupières qui se faisaient plus lourdes. Et lorsque Rex s'est tu, il s'est rendu compte qu'il avait fermé les yeux depuis plusieurs secondes, comme pris dans une atrophie calme, douloureuse, un état de contemplation de ses propres regrets – exprimés par la bouche d'un autre. S'il a rouvert les yeux et brisé sa propre immobilité par une faible esquisse de mouvement pour porter la cigarette à ses lèvres, il n'a pas été en mesure de reprendre la parole. Pas tout de suite. De toute façon, le silence ne les avait jamais gênés, même à l'époque ; ils s'en nourrissaient plus qu'ils ne le rejetaient, sans se formaliser des instants de césure que le temps créait entre eux. Du moins, quand ceux-ci ne duraient pas une dizaine d'années.
T'étais mon frère, Max.
Les mots résonnent, cognent contre les parois de son esprit comme aux bords d'un chaudron vide. Les mots-vérité, les mots-blessures. Les mots-fêlures. Il n'aurait pas imaginé que l'entendre utiliser l'imparfait aurait été aussi dur. Parce qu'au fond, il se dit qu'il a peut-être raison, Rex, de lui en vouloir d'être revenu, de pas être resté planqué. C'est vrai qu'il aurait pu se contenter de s'installer dans une autre petite ville planquée, recommencer une vie dans son coin, sans chercher la moindre emmerde, sans courir derrière le fantasme puéril de rattraper son passé raturé. Mais le choix, il ne se l'était pas donné, parce qu'il était convaincu que ce n'était pas la bonne chose à faire. Il avait une dette à régler. Lentement, le bleu assombri de ses yeux se redresse sur le profil que lui présente Rex, et ses mâchoires se crispent – mimique de malaise qui précédait toujours les explications qu'il savait délicates, et certainement peu recevables.
— J’avais l’impression d’avoir une dette envers vous, une dette de vérité, Il reprend finalement. Mais peut être que t’as raison, et que vouloir la payer, c’était justement ça, qui était égoïste.
La cigarette grésille entre ses lèvres, bruissement discret dans le silence qui les enveloppe. Il la saisit entre son pouce et son index, et dans la fumée qui s’évapore doucement entre eux, ses deux mains s’écartent et se posent devant lui l'une après l'autre, dos contre la table, paumes vers le plafond.
— Vous dire la vérité d’un côté, poursuivre le mensonge et continuer à vous trahir de l’autre. Est ce qu’il y a vraiment un bon choix là d’dans, Rex ?
Ses doigts se referment contre ses paumes, mais le regard, lui, n’a pas changé. Fixe et morne, comme las de chacune de ses paroles.
— Non. Aucun choix est bon, et tu l’sais. Parce que j’aurais jamais dû avoir à l’faire en premier lieu. Et quitte à faire un mauvais choix, j'préférais le faire avec vous, devant vous. J'vous ai suffisamment tourné le dos.
Invité Invité
Sujet: Re: and we've bitten the dust — feat. Rex Sam 6 Mar - 22:30
If we meet again in the next life, I will be your sworn enemy and I will show you no mercy.
max et rex ; & aftermath pour l'icon
Elle est amère la vie lorsqu'elle lui rappelle la déception des gens qui s'en vont. Quand, sur le bout de sa langue, le goût acide de l'absence dissout toutes les saveurs. Ce n'est pas Rex qui prend la parole. Physiquement oui mais ses mots prennent racines à l'endroit où personne n'a jamais creusé par crainte de se recevoir la foudre. Il y a en lui un coffre fort dont il pensait avoir perdu le code et que Max ouvre par l'enchantement maléfique de son retour. Le regard d'Eden est vide mais sa bouche pleine de paroles qu'il avait contenues en lui pendant tout ce temps. Quand Gunn l'a abandonné comme on laisse tomber un poids qui nous empêche d'avancer, une malédiction l'avait suivi jusque chez lui et cela fait dix ans que cette chose est là afin d'alimenter le vide et la colère. Une vie sans rien dire et puis d'un coup, Rex parle comme son oncle aurait voulu l'entendre, comme sa petite amie aurait aimé l'écouter, comme Rocky aurait pansé ses plaies s'il avait seulement su. Il se sent essoufflé et les traits de son visage s'alourdissent. Parler lui prend plus d'énergie que ces combats dégueulasses dans lesquels il se noie pour dématérialiser ses émotions. Il aurait aimé se sentir plus léger, voir disparaître de ses yeux cette fissure causée par la trahison mais il n'en est rien. Tout est identique, et lorsque son regard revient sur Max, que le son de sa voix résonne à nouveau dans cette pittoresque cuisine, l'écho de son timbre lui décroche un frisson. Ils sont froids, insensibles ; les épreuves ont effacé l'insouciance et la rage d'y croire encore. Elles ont emporté avec elles le lien délicat de deux êtres qui se faisaient confiance. Son regard s'échoue sur les mains de Gunn. Elles ne sont pas aussi abîmées que celles de Nox, Silas ou les siennes. Les mains, elles aussi parlent. Celles de Rex sont les vestiges de son incompréhension du monde. Elles racontent les coups, les bagarres et toutes les fois où il avait préféré user de la violence qu'avouer que quelque chose n'allait pas. Elles sont semblables à son âme, brisées, fatiguées, rugueuses, du papier de verre que Pearl caresse parfois en lui demandant s'il a mal. Les mains de Max ne peuvent pas mentir, elles. Elles sont plus lisses car elles ont connu le repos loin des rues grouillantes de vices d'Exeter.
Tu nous d'vais plus rien. Sa voix est plus grave, comme s'il reprenait vie après s'être débarrassé de ce qui le hantait. Comme tu l'as dit, dès l'instant où tu nous as tourné le dos, tu nous as prouvé qu'on valait rien. Sa main plaquée contre la table exerce un léger mouvement, tendue, elle redresse quelques doigts avant de retomber aussitôt, mollement. Tant mieux si tu sens qu't'as payé ta dette. Égoïste, tu l'as toujours été, j'pense pas que cela t'empêche de dormir maintenant. Il inspire, se redresse de toute sa hauteur. Rex se sent moins grand qu'à son habitude, ratatiné par le poids des souvenirs et de la rancœur. Eden remet en place sa chaise. Tant mieux si t'arrives à t'regarder dans la glace alors que j'arrive même pas à t'regarder dans les yeux. L'atmosphère, lourde et épaisse, semble entraver ses mouvements en ouvrant le congélateur pour en sortir un sac de petits pois surgelés qu'il ne cuisinera jamais et le tendre à Max pour diminuer la douleur de sa mâchoire. Tu f'rais mieux de rentrer chez toi si tu veux pas finir à la morgue. Silas et Nox seront moins conciliants que lui. J'suis père, j'veux pas d'emmerdes. Encore moins que les gars se foutent dans la merde pour toi. Il marque une pause. La vérité lui colle à la langue et s'embourbe contre ses lèvres. J'sais pas ce que tu cherches ici mais y a plus rien pour toi dans l'coin. C'est terminé, Max. Le monde a continué d'tourner sans toi et finalement tu l'as, ton point final. C'est c'que tu voulais, non ? Fallait nous dire ça y a dix ans, quand tu comptais encore pour nous. Là, ça aurait eu du sens. Au moins à nos yeux. On n'aurait pas eu à attendre pour des réponses qu'on veut finalement plus. Le chat de Rocky et Pearl profite de ce moment de battement pour apparaître dans la minuscule pièce et ronronner dans les jambes d'Eden. J'veux plus te voir. Renoncer à une part de soi est plus difficile qu'il n'y paraît. Dans la fumée de sa clope, Max semble déjà se dissoudre. Rex sent se défaire de sa colonne vertébrale un poids, celui si léger et capricieux de leur amitié, en retard sur son temps, périmée de dix ans qui pensait encore pouvoir renaître de ses cendres. Foutaises.
Le poids qui appuie sur ses épaules n'a jamais été aussi lourd. Comme si un géant avait posé ses deux mains sur ses omoplates, Max sent la gravité le faire ployer, tenter de faire courber ses cervicales éreintées. La fatigue est immense, la lassitude plus encore. Il encaisse les mots de Rex sans intervenir, sans rien dire, comme un prévenu qui se présente à son procès, et auquel on présente les charges d'accusation, les preuves, les témoins-clé. Coupable de haute-trahison, Max, coupable d'avoir été lâche, égoïste, aveugle surtout, coupable d'avoir cru que le changement était une bonne chose, d'avoir cru qu'il était encore quelqu'un sans eux. Sauf que durant ces années, ces dix années, il ne s'était jamais senti aussi vide. Automate articulé par les désirs d'une autre, vidé du moindre souffle de vie, il se disait parfois qu'il avait passé dix ans à être mort. Il ne nierait pas pourtant avoir été heureux, parfois, mais ce bonheur factice n'existait qu'à la condition extrême d'oublier les âmes qu'il avait laissées sur le bord de la route, d'oublier qu'il s'était lui-même trahi, et que ce qu'il ressentait n'était que la joie mensongère d'une illusion bien ficelée. Aurait-il eu le culot d'aller jusqu'à s'en défendre ? De réfuter la moindre des paroles accusatrices, et de se défaire des charges qui l'incombaient ? Non. C'était bien le problème. Il était trop lucide sur la question, trop conscient de ce qu'il avait fait pour avoir l'insolence de se battre pour lui-même. S'il avait eu le moindre espoir que ça change quelque chose, peut-être lui aurait-il dit, à Rex. Peut-être qu'il lui aurait dit ; vieux frère, je fuis les miroirs. Je fuis les miroirs parce que je supporte plus ma gueule, j'peux plus voir les cicatrices qui s'affadissent, j'peux plus croiser mon regard, parce que lorsque je le fais, c'est vous que je vois. Parce que vous étiez, que vous êtes une partie de moi. Et l'idée de l'avoir arrachée de force me donne envie de vomir, de picoler jusqu'à plus savoir comment j'm'appelle, jusqu'à oublier tout c'que j'ai fait. Je fuis les miroirs, mais me retrouver devant toi ce soir, c'est pareil. Mes miroirs, ça a toujours été vous. Parce que quand j'te regarde, c'est moi que je vois, c'est tout ce que je suis devenu, tout ce que tu es devenu sans que j'y assiste, c'est tout ça. Vieux frère, je m'écœure si tu savais. Si j'm'écoutais peut-être que j'mettrais fin à tout ça, mais j'ai toujours été trop lâche pour ce genre de trucs. En attendant, je fuis les miroirs. Comme je vous ai fui, vous.
Mais il ne dit rien. Les mots sont coincés dans sa gorge, inutiles, futiles. À ce stade, plus rien n'est nécessaire, plus rien n'a de sens. Pourquoi tenter d'expliquer à Rex les nuits d'insomnies en leur nom, la culpabilité récurrente, la honte toujours là, toujours en attente, quand lui-même n'aurait pas été capable de l'entendre ? Il venait de le comprendre : ajouter quoi que ce soit serait plus égoïste qu'altruiste. Stupidement, il pensait que leur donner des explications, leur dire que ce n'était pas leur faute s'il était parti, ça pourrait, j'en sais rien. Les libérer d'un truc. Pas agir comme mécanisme pour le pardonner lui, mais pour se pardonner eux d'un crime qu'ils n'avaient jamais commis : celui de ne pas être assez pour continuer à faire partie de sa vie. Mais il venait de comprendre qu'il était plus aisé pour eux de continuer à le croire, parce que c'était sur cette idée, qu'ils s'étaient construits. De quelle droit venait-il ce soir pour prétendre que tout était faux ?
— D'accord.
Un simple mot posé là, souffle morose de lassitude et de résignation mêlées. Au bout de ses doigts, lentement, la cigarette est écrasée dans le cendrier. Il n'a pas touché au sac de petits pois surgelés. Car si sa mâchoire était l'une des conséquences – infime, certes – de son abandon, il devait apprendre à considérer ces dernières frontalement, sans chercher à les minimiser. Il exhale lentement, puis s'appuie sur le bord de la table pour se redresser à son tour, dans un silence de plomb. Son regard trouve celui d'Eden une nouvelle fois, et l'espace d'un instant, Max se demande si c'est la dernière fois qu'il le croise. L'idée lui tord les tripes. Parce qu'il n'avait jamais fait l'expérience de ce deuil, jamais ; même lors de ces dix dernières années, il ne pouvait tout à fait se défaire de leur compagnie à eux, ils étaient présents lors de ses moments de solitude, parfois même les derniers temps, lorsqu'il finissait à dessein ivre mort dans les rues sordides de Chicago. Dans ces moments là, il lui semblait entendre le rire goguenard de Nox, sentir la main de Silas appuyer fermement sur son épaule lorsqu'il dégobillait, ou la voix de Rex, derrière lui. T'as vu un peu ta gueule, Max ? On dirait un putain de taudis. Et tout ça semblait si réel, dans les limbes confortables créées par l'alcool frelaté, qu'il ne parvenait même plus à se dire que ce n'était qu'une illusion de son esprit. Pendant un instant ou deux, il oubliait ; il oubliait tout et ils étaient là de nouveau, quelque part autour de lui. Mais il suffisait alors qu'il se retourne en titubant pour qu'il prenne conscience que la ruelle était vide, qu'il était seul, et que la joie brusque d'entendre la voix fantôme de ses frères ne se délite dans le vide terrible de la solitude. Dans ces moments là, Max ressentait le deuil. Mais ce n'était rien en comparaison de celui expérimenté à l'instant, lorsqu'il comprend qu'il ne reverra plus Rex. Que tout est fini.
— Merci d'avoir accepté de me parler.
Lentement, la silhouette se dirige vers la porte d'entrée, se frayant un chemin parmi les jouets trainant au sol. Et pile dans l'encadrement de la sortie, il se stoppe, rien qu'une seconde. Il jette un dernier regard à son ami.
— J'aurais aimé la connaître, Indique t-il simplement, désignant l'un des jouets d'un mouvement de menton. Si les choses avaient été différentes.
Et sans un mot de plus, Max quitte l'appartement d'Eden. Il ne s'est jamais senti aussi con. Aussi sale, aussi vide.
Aussi mort.
Invité Invité
Sujet: Re: and we've bitten the dust — feat. Rex Mer 10 Mar - 16:52
If we meet again in the next life, I will be your sworn enemy and I will show you no mercy.
max et rex ; & aftermath pour l'icon
Il avait gardé ses mots depuis ce soir au Devil's Den oú il n'avait même pas été foutu de lui parler. Nox avait eu la force de le frapper, de hurler, de chialer mais Rex en était incapable. Il avait vu les larmes sur les joues de Max et lui était resté là, comme insensible, perdu dans les décombres de leur amitié. Des frères cassés, anéantis par un départ, détruits par son retour. Ils n'avaient jamais eu si mal que sur ce trottoir où le sang de Gunn est encore incrusté dans la pierre. Son corps est aride. Quand il ressent, c'est un echo lointain, revenu de si loin qu'il ne lui en reste plus qu'une part infime de ses émotions. Max est enfermé dans une part de lui qui ne devrait pas exister dans le présent. C'est pour cette raison que Rex est si figé, lymphatique. Son corps massif prend appui contre le plan de travail bordélique de la cuisine. Il le regarde en sachant qu'il va partir et l'adieu était plus facile lorsqu'il n'avait pas eu besoin de le formuler. En partant comme un voleur, Max leur avait au moins enlevé ça : le tiraillement de serrer son frère entre ses bras une dernière fois en sachant qu'il ne le reviendrait plus. Car s'ils s'étaient promis de garder le contact, le téléphone et l'absence auraient détruit leur lien de la même façon que Gunn l'avait coupé d'un mouvement sec. De quoi avoir mal d'un coup et avancer plutôt que faire sauter une à une les coutures de leurs âmes.
Le fautif se redresse et Rex fixe ses mouvements comme s'il n'était déjà plus là. Il est facile de ne plus croire en Max quand celui-ci est déjà mort dans sa tête. Eden l'a tant de fois aligné dans la file des personnes qu'il s'était promis de ne plus approcher. Max était là, dans l'ombre de son père, de ses frères, aux côtés de la silhouette de la mère de son enfant. La nuit, parfois, dans ses rêves, tous se tiennent devant lui et aucun ne lui demande jamais pardon. Seul Gunn est revenu de ses erreurs pour le faire.
Le fantôme cesse sa marche un instant et son regard se pose instinctivement sur les jouets. Rex ne répond rien mais son cœur se crispe anormalement. Pearl, prunelle de ses yeux, unique raison pour laquelle il lui arrive encore de vouloir être meilleur. Sans elle, probablement qu'il croupirait en prison. Sa mâchoire se crispe tandis qu'il baisse les yeux, comme s'il était triste pour eux trois d'être passé à côté de moments complices où ils auraient été heureux de la plus simple des manières. Max, Pearl et lui, à se manger une glace et écouter les récits d'une môme en avance sur son âge. Eden prend une longue inspiration pour se donner du courage, avance dans son dos afin de fixer sa silhouette s'éloigner. Ses yeux se posent sur sa nuque, silencieux, avant de refermer la porte.
Une fois seul, Rex se sent nauséeux mais bataille une fois de plus pour garder en lui la douleur. Il n'accepte plus d'avoir mal, refuse de lâcher prise et traverse tel un zombie les pièces de son appartement pour s'allonger dans le lit vide de sa fille. Son parfum le réconforte tandis qu'il serre entre ses bras les couvertures. Une peluche tombe dans ses mouvements. Eden ferme les yeux, entouré des posters affichés au mur qui le fixent comme s'ils étaient désolés pour lui. La dernière fois qu'il avait usé de ce stratagème de préservation, un cadavre venait de tomber par sa faute. Ce soir, s'il n'est ni question de meurtre ou de sang, Rex se sent tout aussi brisé. Les histoires les plus tristes ne sont pas toujours celles qui se terminent mais celles qui continuent, malgré la déception et la douleur.