Le problème avec les âmes qui ont traversé une totale liberté, c'est qu'elles gardent en elle une marque de cette expérience. Elles sont là, brûlantes de vie, ennuyées de tout, prêtes à dévorer l'horizon et on les garde en soi. On les enferme, on leur dédie nos silences et nos prières en leur demandant de patienter encore un peu. Quand il était jeune, c'était comme si l'Arizona était en lui et qu'elle le consumait jusqu'à l'os. Les rues d'Exeter pouvaient être grandes et agréables, puer le chien mouillé ou la pisse, l'odeur de la poussière restait en lui. Un vide. Auquel on pense parfois s'habituer mais qui nous restitue quelques sentiments douloureux lorsqu'on creuse un peu trop dans le passé. Un vide, que l'on comble à n'importe quel prix. Qui nous hante et nous murmure que l'on étouffe et qu'il faut partir, retrouver ses racines afin de leur demander de nous foutre la paix, une bonne fois pour toute. Alto et l'Arizona, il est allé lui rendre visite quelques fois mais elle reste là, collée à sa peau et dans chacun de ses gestes. Plus tôt dans la soirée, il était encore accoudé au bar de la Casa, sourire aux lèvres. Il avait causé avec Freyja avant de se faire la malle comme il le fait parfois, guidé par l'envie de prendre le large. Pas celui que l'on voit lorsqu'on se campe en bord de mer mais le large intérieur, dans cet océan déchaîné qu'est son âme. Ce n'est que maintenant, au beau milieu de la nuit qu'il quitte l'une des chambres du Devil's Den, remontant sa braguette sans une once de sentiment pour celle qu'il vient d'enlacer brutalement ni pour lui-même. Sensation étrange d'être déconnecté de tout, le Sisters ne s'arrête pas au bar sur le point de fermer et quitte les lieux, sans un regard en arrière. Lui et ses frères ont déjà fait la connerie de venir entre ses murs seulement pour déconner. Certains d'entre eux y reviennent à l'occasion, seuls, ou accompagnés suivant leur état d'ébriété. Alto sent le whisky de la Casa, une légère note qui ne l'empêche pourtant pas de conduire à moitié ivre. Egoïste notoire, le blond confie la tâche à Rio de le ramener chez lui seulement lorsqu'il ne tient plus debout. Le reste du temps, il te foutrait sur la gueule s'il te venait l'idée de lui demander d'être plus prudent.
Le cow-boy grimace à la vue de la pluie et enfile sa veste épaisse. Sa main fouille dans ses poches et en sort une clope. A quelques mètres de là, son regard glisse sur les formes d'une poupée. Ses pupilles dévalent le long de sa chevelure, caressent son dos et tombent sur ses fesses. Plutôt que chercher un briquet, le Sisters en profite pour l'approcher tout en lui préparant son plus beau sourire. Hey. Sa voix se casse en lui faisant face. Ko technique. Joyss. Sous ses yeux. Ce visage du passé qu'il pensait avoir oublié mais qui se rappelle à lui. Leurs yeux se percutent et la rencontre de leurs pupilles lui rappellent ce pourquoi il avait été si idiot avec elle. Il l'avait aimé avec la plus grande simplicité, sans réfléchir, sans se poser la moindre question et penser aux conséquences. Alto s'était ouvert à elle, découvrant tout contre sa peau la saveur de sentiments purs qui ne cessaient de trébucher contre sa maladresse. Il la voit encore comme si c'était hier, campée sur un de ces mustangs d'Arizona, le sourire aux lèvres, les yeux pétillants et les cheveux au vent. Le soleil tapait sur leurs peaux déjà bronzées d'un été passé dans les bras l'un de l'autre. Le présent n'est plus qu'une copie fade et fatiguée de leurs souvenirs. Joyss est magnifique dans sa mémoire. Elle porte l'insouciance et la dévotion, l'insolence d'aimer en sachant que les lendemains n'existent pas et la beauté des je t'aime échangés dans la fougue de quelques baisers à l'arrière de la vieille bagnole d'un de ses oncles. Alto enfile sa casquette, la vice sur sa tête, perd de son sourire léger, surpris. Joyss ? Elle semble irréelle, là, plantée devant un bordel qui ne ressemble en rien à ce qu'elle est. Instinctivement, le Sisters se pose des questions. Derrière eux, tandis que les lumières s'éteignent et que le jour ne tardera plus à s'étendre sur toute la ville, son regard ne la lâche pas, ose à peine battre des cils. T'es pas … ? Une de ces putes, faut qu'il le dise mais le mot reste coincé entre ses dents. Il le garde pour lui par crainte de la vexer ou de la blesser. Elle aurait la délicatesse de ne pas lui faire remarquer qu'il est con et que son langage est aussi grossier que la façon dont il l'avait traité à l'époque. Car c'est elle, qu'elle reste Joyss, une âme bordée de sensibilité. Alto tourne enfin la tête, la nuit pluvieuse efface petit à petit les souvenirs, chasse le soleil dans sa tête ; il ne se souvient même plus du goût de ses lèvres, de la douceur de sa peau et de son rire lorsqu'il racontait une blague qui ne méritait même pas un sourire. Aujourd'hui, des blagues, il en raconte toujours aux filles qu'il drague avec assurance et aucune ne rit comme elle. C'est là le prix à payer du temps qui passe.
Sujet: Re: avant tu riais. - joyss Mar 2 Mar - 23:24
Le regard qui trébuche sur les clients. L’impression de n’être totalement présente à cette sensation oppressante. Suffoquer sous le poids des remords, regrets. Cette vague lancinante à cette tristesse… de n’être assez pour l’être désiré. Ne plus rien comprendre. Entre le plaisir vrai de le retrouver, ce besoin constant de le mirer à encaisser ses absences répétées. Essuyer des attentions émaillées à l’amer déception qu’elle s’inflige de n’avoir su garder leur trésor… et dans cette absence cruelle, reste cette douleur imperceptible, tapis au fond des abysses en cet inénarrable sentiment désabusé. Tirant nerveusement sur le ridicule de sa robe moulant, gainant péniblement le bas de ses fesses, talons qui lui brisent les pieds, trouvant réconfort les jours de repos dans ses veilles baskets, c’est maladroite qu’elle pousse les portes de service, délaissant collègues et boulot. Cinglée par la fraîcheur de ce début de mois, le regard qui s’aligne sur les quelques badauds longeant la chaussée, Joyss tangue et chancelle sur les incertitudes, cette sensation de caresser sans cesse la solitude en silences déchirants. Et fermant les yeux, cloisonnant l’esprit sur le froid environnement, son corps s’ébranle de violents frissons. Elle aimerait rentrer, s’enterrer dans son lit, regarder vaciller sa vie, écouter Trevor lui raconter sa journée. Squatter sa maison s’il lui en laisse la possibilité, trouvant réconfort dans leurs sentiments réciproques et sincères. Elle aimerait s’en griller une… vieille habitude d’un autre temps qu’elle a tué en même temps que son passé en quittant les horizons brûlants de son enfance.
Croissant les bras sous sa poitrine, debout au milieu du trottoir, triste vision d’une putain sur le déclin, les traits exsangues tirés, la porte qui claque une nouvelle fois durement dans son dos attire peu son attention tout comme l’apostrophe qui accompagne quelques pas dans sa direction. Elle voudrait être seule pour mieux panser ses regrets. Ses vénéneux remords. Lécher ses plaies ouvertes et ses blessures inoubliables d’avoir trahis. Crever cette infâme culpabilité rendue ce soir tendre bourreau… crier cette rage, colère ardente. Ses aveux perdus dans l’épaisse obscurité à ses chaotiques déceptions. Et dans le malstrom incontrôlable de son impuissance, éclot le sanglot solitaire sur le bord de ses lèvres. D’une main fébrile, âpreté sèche, elle essuie l’indésirable quand vient chatouiller à ses oreilles son prénom. Prononcé comme une crainte de briser cette pauvre syllable, Joyss tourne l’attention en direction de l’homme qui se tient à quelques mètres d’elle. Casquette, barrière à son attention de mieux le voir dans les obscurités environnantes, il faut quelques temps pour qu’elle comprenne. Sourcils froncés, les cheveux furieux autour de son visage, son regard glisse le long de la silhouette s’égarant sur le coté de son corps vide et meurtrie sous les tissus de sa veste. Laisse un petit quelque chose au hasard, on ne sait jamais, parfois, il fait bien les choses. Cette phrase balancée dans l’air aride et brûlant de l’Arizona, sa mère la lui avait dite alors quelle regardait partir, s’étioler, se déchirer, les pans de son amour de jeunesse, entraînant avec lui souvenirs et premiers émois. Elle se souvient de son regard prussien à cette moue tristesse -amer alors qu’il disparaissait dans les veloutes de poussières sur le chemin caillouteux de sa vieille baraque familiale. Joyss se souvient du dernier message qu’elle lui a envoyé. Un soir, juste avant de partir de l’Arizona… quelques jours avaient passé avant… avant. Elle l’a encore dans ses vieux messages, le regarde parfois, comme un précieux trésor. Parce que parfois il est lourd. Leur fardeau. Il est lourd à porter. Tu sais la nuit, je m’imagines toujours que tu es couché à coté de moi, avec un bras autour de moi et ton corps serré contre le mien, ça m’aide à m’endormir.
Un sourire timide étire ses lèvres alors qu’elle se tourne vers lui et amorce à rompre la distance qui les sépare pour mieux voir son visage, son regard, ses cils timorés d’un délicieux blond, exactitude de sa chevelure léchée, brûlée, par le soleil aride d’Arizona. Et ses mots meurent lentement sur ses lippes alors que son regard se détourne du sien. Pourquoi ?
« Alto ? » ne faisant cas de sa phrase en suspend, à des années lumières de ses insinuations, l’esprit qui pépie d’un plaisir vrai à le trouver ici, sa main, les doigts froids et gourent, se noue autour de son poignet pour mieux attirer son attention vers elle, avouant à demi-mot ce besoin de le toucher. S’imprégner de sa présence… et les mots manquent alors que son sourire crève ses sombres idées. La digue se rompt, traîtresse, et se dire que c’est con de sangloter pour un homme du passé, mais se dire aussi qu’il est difficile de faire le deuil de ses premières fois. Toutes ses premières fois. Et le pire, c’est de continuer à attendre alors qu’il n’y a plus rien à attendre. Son corps se presse alors contre le sien, quémandeur et affamé alors que ses bras se glissent le long de ses épaules, s’amarrant à cette nuque. A cette présence et à son visage au nez qui se perd contre le creux d’une clavicule chaude, Joyss respire son odeur. Respire cette mélancolie qui fleurit entre ses côtes dans les relents de son parfum d’antan. Pareil à un éclipse : la lune qui se glisse devant son cœur et son cœur qui ne donne plus de sa lumière.
« Qu’est -ce que tu fais ici ? » murmure délivré dans les abîmes de ses vêtements, à cette chaleur dans laquelle elle s’imprègne, Joyss se permet, reprend des droits oubliés et enterrés mais ce soir, sa présence lui fait du bien. Réchauffe sa carme et la charpente douloureuse d’un canevas malmené. Et sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussières d’un sol aussi désolé que ce ciel, elle chemine avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.
Alto l’homme souvenir. De ses sourires à cette fossette. De leur amour de jeunesse consommé trop vite. Bancale et décadent. De la joie à la tristesse, des vagues à l’âme de se dire qu’il ont été cons et jeunes pourtant tendres et aimants. Précieux instants d’une jeunesse éphéméride, Joyss en garde le plus beau. Puis écartant son visage, le redressant légèrement vers le sien, à ses mains qui se tendent pour prendre son visage en coupe, de ses pouces caressant les joues drues une barbe opaline, son rire, incontrôlable, fleurit dans le silence étrange de l’instant, trébuche sur les trémolos de ses sanglots et se meurt aussi vite qu’il a été agnelé. Et inclinant son visage vers le sien, le bord de sa casquette bute contre son front.
« Qu’est -ce que tu fais ici… qu’est -ce que… » le sourire tangue un instant, les mots manquent. Elle aimerait parler et ne plus jamais arrêter. Goûter, encore, à ses plaisirs à ses cotés, retrouver, renouer de cette insouciance qui leur ont fouettée les sangs. C’était bon, c’était tendre, c’était simple.
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Sujet: Re: avant tu riais. - joyss Jeu 11 Mar - 19:18
avant tu riais
joyss et alto ;
Joyss se retourne et il remarque sans mal l'humidité de ses yeux. Il perçoit en elle une profonde tristesse qui n'a rien à voir avec lui et qui s'efface à sa vue. Les émotions se percutent en elle et la jeune femme grignotte la distance qui les sépare. Elle ne lui laisse pas le choix, réagit comme si elle était toujours la même, adolescente insouciante au cœur débordé par ses sentiments. Alto, lui, reste à sa place par crainte que ses mouvements soient mal interprétés. Casquette sur la tête, son regard légèrement dissimulé par l'ombre qui lui mange le visage, ses pupilles sont à l'abri. Elles peuvent éprouver de la tendresse en toute sécurité, couvées par l'obscurité de la nuit.
Que peut-il lui dire alors qu'il avait abandonné la jeune femme qui espérait tant de leur amour ? A l'image de ses souvenirs, Joyss ne se pose pas de questions et s'approche de lui comme s'ils ne s'étaient pas encore quittés. La chaleur d'Arizona frappait sur son corps alors qu'il venait de la serrer dans ses bras sans un mot ni une excuse. Car Alto partait et savait qu'il ne reviendrait plus. Jamais. Pas pour elle. Ni pour eux. Une fois de l'autre côté de ces frontières, le temps défilerait si vite qu'ils ne le verraient pas passer. Et il avait eu raison. Comment ont-ils ou pu vieillir à telle allure ? surtout lui. Son corps est lourd, plus fatigué et les traits de son visage portent les différents deuils de sa vie. Joyss en avait été un, de deuil. En la quittant alors qu'il s'imaginait lui offrir une vie à deux, le Sisters avait renoncé à leurs sourires et leurs tendres secrets. Ses bras se posent sur ses épaules et le cowboy bouge à peine, solide, peu expressif, incapable de réagir au sanglot qu'il sent couler sur ses joues et la secouer. Alto ne cille pas, presque cruel dans son manque de réaction, choqué de la savoir là, perdue dans l'immensité d'Exeter, attachée à ce lieu qui ne mérite en rien la douceur de son regard. Il lui faut quelques secondes pour réagir. Alto flotte dans l'incompréhension avant de se rattacher à elle. La voix de Joyss le guide à travers la nuit, tendre et mélancolique, vieil écho du passé qui lui avait apporté tant de bonheur et d'insouciance.
Ses mains se saisissent de son visage comme s'il ne lui avait pas un jour brisé le cœur. Le temps est un pansement qui guérit tout et annule certaines rancœurs. Il floute la douleur, la mélange à la nostalgie pour faire des âmes tristes des êtres plus conciliants. Un sourire se dessine sur les lèvres d'Alto pour accompagner le sien. Sa question lui arrache un battement de cœur honteux. Si cette ville toute entière connaît la face la plus sombre des Sisters, Joyss, elle, n'a pas vu les garçons devenir des adultes, rencontrer quelques névroses et en épouser d'autres. L'Angleterre … tu t'souviens ? Exeter l'avait arraché à ce petit bout de femme mais aussi à ses terres. Malgré les années, les frères restent les mêmes, purs produits d'Arizona qui jamais ne trouveront le repos dans cette cage de béton et de pollution. Parfois, alors qu'il grimpe sur ces chevaux hors de la ville, Alto réalise que même la plus belle nature de ce pays ne parviendra jamais à lui rendre le bonheur laissé en Arizona. Car là-bas, la liberté était totale, brutale, aride, comme son cœur contre lesquelles certaines de ses petites amies se sont esquintées en espérant trouver sous la sécheresse la tendresse d'un lac chaud. Mais Alto n'est rien de plus qu'une rivière, puissante, colérique qui quitte son lit lorsqu'elle n'est pas asséchée.
En reprenant de la consistance, Alto passe sa main à l'arrière de son crâne afin de la ramener contre lui et déposer un baiser sur son front. Mouvement tendre et singulier d'un homme touché mais trop blindé pour l'avouer. Le contact dure quelques secondes tout au plus mais le reconnecte à elle. L'instinct de protection s'éveille de la savoir entre les griffes des Irlandais. Qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu t'es perdue en chemin ? Son sourire est bordé d'un regard plus dur qui ne lui laissera probablement rien passer, même pas le droit au mensonge. Même après tout ce temps, Alto reste persuadé qu'il saurait déceler chez elle la moindre altération de la vérité. Est-elle ici pour le voyage ? par obligation ? par étourdissement ? Il voudrait la savoir en sécurité mais une part de lui, toujours connectée à elle après toutes ces années et leurs déceptions sait que tout ne va pas aussi bien qu'il l'espère. Il a vu son regard quand Joyss s'est retournée vers lui. Il a compris. Il n'a rien dit mais il a compris, qu'un autre hante à présent son cœur et qu'elle le laisse la torturer.