macadam cowboy -- rio.

La nuit n’a jamais été aussi courte.
Une heure, c’est le temps qu’il lui avait fallu pour fermer les yeux pour de bon, après avoir passé un bon moment à repousser une infinité de fois son aîné qui roulait comme un tonneau d’un bout à l’autre du lit en émettant des grognements plus proches de l’animal que de l’humain. Une heure de lutte pour deux misérables heures de repos, loin d’être suffisantes pour récupérer toutes celles qu’ils avaient laissé derrière eux, sacrifiées à picoler jusqu’à plus soif et bien plus loin encore. Rio avait hésité à pioncer dans la voiture, précisément pour s’éviter tout ce cirque malheureusement familier avant de finalement succomber à l’attrait d’un matelas pour décuver avec plus de confort. Les doigts du môme se resserrent instinctivement sur la crosse du colt glissé sous son oreiller lorsqu’Alto se montre bien décidé à lui faire regretter amèrement cette décision en faisant claironner son harmonica à quelques centimètres à peine de ses tympans. Déterminé à ne pas le laisser jouir de la satisfaction d’avoir réussi son coup, le plus jeune fait d’abord semblant de ne rien entendre avant qu’un sourire hilare ne trahisse sournoisement ses intentions en prenant place sur ses lèvres pincées. C'est avec toute l'exaspération du monde qu'il finit par lui balancer son coussin - qui manque sa cible avec brio - et laisser son bras retomber mollement sur son visage pour s’acclimater plus doucement à la luminosité ambiante. Rappelle-moi de te jouer de l’harmonica en pleine tête la prochaine fois que t’as b’soin d’un cocher. Même l’esprit étourdi par l’alcool, Rio demeurait depuis toujours le Sisters le plus apte à rouler droit. Il avait pas plus de treize ans et à peine quelques heures de conduite clandestine au compteur lorsqu’il avait ramené un Alto complétement torché pour la première fois à la maison, après que ce dernier se soit endormi au volant et que le gosse se soit retrouvé incapable de le ramener à lui malgré les torgnoles et les coups de klaxon.  

Sceptique à la remarque de son frère et le cerveau encore à moitié en veille, Rio approche sa main de sa bouche et exhale dans sa paume pour évaluer l’ampleur du dégât qui ne manque pas de lui arracher une grimace. T’as du chewing gum qui traine quelque part ? Du vrai chewing gum, j'en veux pas de ton foutu tabac à chiquer. Il pourrait presque sentir le sale goût de l’herbe roulée lui revenir sur la langue rien qu’à y repenser. Alto lui avait dit que c’était presque pareil et le môme l’avait cru avant de tout recracher aussi sec, non pas par nécessité mais par pur dégoût. Un bâillement lui décroche presque la mâchoire alors qu’il se penche enfin par-dessus le bord du lit pour tendre le bras, ramasser son chapeau et attraper la première chemise qu’il trouve, qu’importe qu’elle soit sale ou propre, à lui ou à Alto, du moment qu’il rentre dedans. Un rire fatigué le réanime lorsque son aîné fait mention d’un rêve incluant la déesse de la country qui pouvait être tout sauf platonique.  Je lui en aurais pas voulu de te garder occupé un peu plus longtemps à la Dolly. Ca m’aurait peut-être évité la migraine de bon matin. Accuser son ramassis de fausses notes de son mal de crâne, une façon comme une autre de se dédouaner de la gueule de bois qu’il commence à sentir poindre alors qu’il se lève et se dirige vers la kitchenette d’appoint de la chambre. Tu prends du café dans ton whisky ? La moquerie lui échappe lorsqu'il tombe nez à à nez avec la machine à café antique du blond qu’il sait uniquement là pour faire bonne figure quand ses coups d’un soir lui en réclamaient une tasse au petit matin. Un peu plus réveillé, le môme attrape deux verres pour leur servir le petit déjeuner traditionnel des Sisters, le même qu’on leur refilait inlassablement depuis le biberon.