ne partons pas fâchés (rex)

C’était une de ces soirées à l’ambiance légère où toutes les générations se confondent sur l’espace grossièrement dégagé pour servir de piste de danse et dont la convivialité lréveillait en elle la nostalgie de ces fêtes de village où la musique ne se taisait jamais avant le lever du jour. Evita avait refusé de s'y rendre avant de revenir sur sa décision, encouragée par les piques amicales de Rex, toujours là pour lui rappeler qu'elle avait besoin de se décoincer un peu. Aucune tenue correcte n’était réellement exigée mais elle avait fait un effort de présentation considérable, profitant de cette première occasion depuis longtemps de pouvoir enfin passer plus d'une heure face au miroir pour prendre le temps de rajeunir ses traits de plusieurs années à l'aide de quelques coups de pinceau experts.

Accoudée à une table aux côtés de quelques connaissances d’Eden qu’ils avaient rejoint sur place, elle écoute leur conversation d'une oreille distraite tandis qu'elle observe la foule s’écarter sur le chemin du minotaure qui roule des mécaniques pour se frayer un chemin jusqu’au bar et ramener la prochaine tournée. Une pointe d’amusement illumine son regard alors qu’une môme à peine assez vieille pour se voir autoriser l’entrée l’accoste et laisse impudemment  son corps onduler contre celui d’Eden qui ne tarde pas à réagir à ses sollicitations enflammées. A la façon qu’ils ont de se faire mutuellement du charme et dont les lèvres du blond réclament toujours plus de sa peau, la rousse comprend que cette simple danse rapprochée ne lui suffira probablement pas. Tout son entrain se dissipe lorsqu'il se décide finalement à se rapprocher d'elle, la petite fermement maintenue contre lui, pour lui glisser un je me casse à l'oreille par-dessus le brouhaha ambiant. Alors qu’il disparait de sa vue, Evita se force à ne pas s’éclipser directement après lui pour ne laisser à personne le loisir de croire que son départ pouvait être relié à celui du colosse.

Elle était occupée à rehausser ses cheveux encore humides en une queue de cheval lorsque ses mouvements se sont interrompus brusquement à l'ouïe d’un claquement de porte en provenance de la pièce principale de son appartement. Au bruit de pas trébuchant et mal assuré qui s'ensuit, elle devine aisément qu’il ne s’agit pas là d’un voisin de retour d’une virée tardive. Elle aurait presque préféré tomber nez à nez avec un cambrioleur plutôt que faire face au culot du visiteur tardif qui l'attend dans la cuisine, affairé à se remplir un verre d’eau à même le robinet. Non mais je rêve, t’es sérieux là ? Les bras croisés sur sa poitrine, elle contient tant bien que mal cette poussée de violence qui lui intime de l’attraper par la peau du coup pour le jeter à la porte alors que l’enfer s’allume dans ses pupilles. Lui laissant silencieusement savoir qu’il avait toujours prévu de se vautrer dans son canapé pour la nuit comme s’il était toujours invité à le faire, la moue éhontée que lui offre le minotaure achève de terrasser son sang-froid. C’est tout ? Tu me semblais plus bavard quand il s’agissait de baratiner ta gamine d’un soir. C’est qu’elle connaissait l’inventivité à toutes épreuves d’Eden quand il s’agissait de tirer sa crampe. Alors c’est quoi hein ? Ses parents étaient à la maison ? Ereintée, elle attend une réponse plus convaincante que ça pour justifier sa présence ici après l’avoir piteusement privée de sa présence sans même lui avoir laissé le temps de réagir.

Il l'avait laissé tomber, comme trop souvent lorsqu'il part en soirée. A la seule différence qu'il avait fait l'effort pour Evita jusqu'ici mais maintenant qu'ils se connaissent un peu trop, Eden prend ses aises. Il n'avait vu là aucun problème de l'inviter en boîte pour finalement partir aux bras d'une autre qui lui semblait moins difficile à convaincre pour partager un instant charnel. Car pour Rex, tout n'est question que de ça : un peu de sexe pour pimenter ses envies et apaiser les monstres qui le hantent. Les dernières semaines ont été difficile et son visage, encore abîmé de quelques ecchymoses, témoigne des longues heures passées au creux de la nuit dans les combats clandestins, sans même accorder une pause à son corps afin de récupérer. En revenant dans le monde des vivants et traversant le voile des souvenirs, Max a tout foutu en l'air. Les derniers remparts qui le raccrochaient à la réalité s'étaient effondrés pour ne laisser place qu'à l'incompréhension et la douleur. Parce qu'il avait vu sangloter ses frères, que lui avait tout retenu, Rex se contentait d'intérioriser tout en laissant évacuer quelques douleurs à la seule force de ses poings.
Il le ressent, qu'il est en train de se perdre.
Evita est la seule, encore capable de le maintenir captif de sa raison. Et si la cage est ouverte, qu'il la quitte souvent, la rousse termine toujours par lui faire retrouver le chemin.
Pour cette raison qu'il est là, ce soir, après une baise sans intérêt et fade auprès d'une nana trop jeune pour lui, sans la moindre perspective d'avenir.

Il sursaute lorsque sa voix résonne dans la cuisine vide. La bête se retourne, nonchalant, étonné de la savoir encore debout, seule. Elle sent bon, contrairement à lui, dont les traces de quelques baisers restent incrustés sur sa chemise ouverte. Rex sent un mélange poisseux de sexe et d'alcool, qu'il tente de faire passer tant bien que mal avec un grand verre d'eau.
Son sourire s'efface à la remarque de la rousse, persuadé qu'elle lui fait simplement une mauvaise blague. Le Minotaure marque un temps d'arrêt avant de comprendre qu'elle semble aussi sérieuse que l'était son ex lorsqu'il rentrait trop tard de ces soirées entre amis. Un mauvais souvenir qui manque de le faire étouffer tandis qu'il pose son verre sur le plan de travail.
Sérieux d'quoi ? On avait dit que j'dormais ici.
Son ton est des plus neutres possibles, trop con pour réaliser qu'Evita puisse réellement lui en vouloir et que son comportement n'était pas celui qu'elle attendait de sa part. Rex ôte alors sa chemise et la pose sur une chaise sans comprendre qu'il est en train de se prendre un savon.
C'est tout ? Bwarf, c'était pas mal, un peu bruyante mais ça passe. Il lui adresse un sourire en haussant les épaules.
Parce qu'il ressent un creux, comme souvent après un moment charnel, Eden fouille dans les placards pour piquer dans les réserves de Jolene.
Evita entasse la bouffe comme si le monde était sur le point de s'écrouler. Tout pourrait fermer demain qu'elle survivrait de longs mois sans mourir de faim.
Le bœuf jette son dévolu sur un paquet de gâteaux au chocolat et fronce un peu les sourcils à l'écoute d'un sarcasme qui le ferait frémir d'aversion.
On a aussi dit qu'on sortait ensemble, pas qu'on d'vait rentrer tous les deux.
Il soupire, passe une main dans ses cheveux à l'odeur nauséabonde de clopes.

En ouvrant le paquet, Eden lui tend un biscuit, pas radin. Tiens. La saveur du chocolat remplace celle plus âpre de cette soirée sans fin tandis qu'il se plante devant elle, tranquille, pas le moins impressionné par l'air renfrogné qu'elle lui offre.

C'est avec le plus grand naturel dont il peut faire preuve que Rex ne soulève aucune de ses accusations, se contentant d'y répondre avec autant de sérénité que si elle était en train de lui raconter le déroulement de sa journée. Son indifférence est si réelle qu'elle la plonge dans la perplexité la plus absolue, si bien qu'elle en vient même à se demander le temps d'une seconde s'il s'agissait là d'une méthode ingénieuse pour éviter la discorde ou s'il était simplement en train de se jouer d'elle par pur plaisir de la voir s'agacer dans le vide, ce qui n'aurait en soi rien de surprenant venant de la part d'Eden qui n'avait aucune limite connue, dans le bon sens comme dans le mauvais. Une question qu'elle n'arrive décidément pas à trancher par elle-même alors qu'elle décide de la poser directement au principal intéressé. Tu trouves ça normal ou tu le fais exprès ? Ca, son irrespect fulgurant et le fait de la planter au milieu de la soirée où il l’avait ramené pour mieux disparaitre entre les reins d’une parfaite inconnue.

Ca te vient toujours pas ? Elle avait pourtant l’impression que sa déception était légitime avant de se heurter à l’impassibilité de Rex, si sûr de son bon droit qu’elle se sentirait presque idiote à continuer de s'époumoner vainement, bien décidée à lui faire entendre son opinion, quitte à lui faire entrer dans le crâne au marteau et au burin. Mais le minotaure ne se démonte pas, pas plus qu'elle, et continue à se laisser crucifier sans broncher. Tu crois que j’suis passée pour quoi moi, devant tes potes ? Une fraction de seconde. C’est le temps qu’elle lui laisse pour réfléchir. Pour la foutue godiche de service que tu te trimballes d’une soirée à l’autre en attendant de trouver mieux à te foutre sous la dent. Si Evita ne s’est jamais laissée sombrer dans la comparaison, elle ne pouvait pas nier que toutes les conquêtes qu’elle avait connues à Eden ne rejoignaient en rien son propre profil, bien moins lisse que le leur, juvénile et proche de la perfection. Inconscient, le colosse ne tarde pas à rajouter une bûche au feu déjà bien ardent de sa colère en lui laissant bien supposer que son seul problème avait été d’attendre quelque chose de lui pour cette soirée commune et en cet instant précis, elle pourrait presque le confondre avec Jolene dans ses mauvais jours, ceux où elle semblait s’être jurée de tomber raide morte avant de laisser ne serait-ce que l’illusion à sa mère d’avoir le dernier mot. Je suis ta pote, pas ton hôtel. Qu’elle clarifie avec une vexation plus palpable qu’elle ne le voudrait. Non mais ça m’intéresse de savoir, comment t’aurais réagi, toi, si je m’étais barrée sous ton nez avec le premier mec qui me plaisait assez ? Pour ensuite avoir l’audace de me pointer chez toi le sourire aux chicots ? Chicot, mesquine référence à cette dent ruinée qu’elle avait été tentée de lui casser une seconde fois en découvrant à quel point il était incapable de se remettre en question. Ses yeux roulent dans leurs orbites alors que le blond entreprend à présent de retourner tous ses placards pour dégoter la perle rare au milieu des trésors alimentaires choisis avec précaution par Jolene. Si elle attrape le biscuit qu’il lui tend sans un mot, c’est uniquement pour ne lui offrir aucune issue. T’es quand même sacrément gonflé, tu le sais ça ? Et de le voir comme ça, à dévorer son goûter nocturne avec une faim de loup ne fait que venir renforcer un peu plus l'impression d'avoir face à elle un gamin de presque deux mètres et d'une centaine de kilos, déjà débarrassé de sa chemise en s'imaginant pouvoir finir la nuit chez elle.