| Sujet: [UA] The funeral under the sea - ARNLAS Mer 10 Mar - 8:19 | |
| « Niklas & Arnar » Iceland ; 2008 Et puis il y a ceux que l'on croise, que l'on connait à peine, qui vous disent un mot, une phrase, vous accordent une minute, une demi-heure et changent le cours de votre vie ϟ Maman. Son muet d’une plainte étouffée tant de fois. Vivre dans le passé, encore et encore. Seul moyen de la trouver, là. Si magnifique à hauteur d’étoiles sur les pointes de ses pieds. Les doigts qui caressent les airs dans un envol d’ailes, le sourire en soleil majestueux. Jamais plus libre qu’à cet instant, dans cette envolée. Niklas et Tekla. Maman et petit garçon. Mort et affliction. Voyager dans le passé, quitte à rencontrer des bêtes d’ombres et ce monstre colossal. Juste pour la voir, juste pour entendre la mélodie de sa voix vibrer contre sa chair. Quand elle chantait dans un islandais tremblant, brisant tous les chagrins d’enfant. S’enfoncer dans les tourments des époques condamnées rien que pour se souvenir d’elle. Maman. Prière incessante que Niklas psalmodie pendant que son cœur s’échoue dans les enfers dès que le pied se pose sur le sol abjecte. Maman. Comme un mantra pour s’apaiser et conjurer les sorts qui l’ont plongé dans le noir, là, à même sur ce vaste territoire de lamentation : Détroit. Détroit où il est enfin de retour après tant d’années. Après tant de souffrances jamais prononcées. Jamais avouées. Jamais confessées. Maman, je t’en supplie, tiens-moi encore contre toi. Comme avant. Comme quand il était encore si pur.
*** Les désolés qui se ruent dans sa gorge jusqu’à la suffocation. Niklas endure sans le moindre son, sans le moindre mot. Manteau de vaincu sur les épaules et couronne de déchu sur le sommet du crâne. Le cœur s’écartèle pendant que les doigts s’enroulent autour de la relique sacrée. Urne gravée d’étoiles et d’une lune qui ne s’endormira plus, empêchant les ténèbres de le bouffer entier, lui, son unique fils. La culpabilité forme une gueule béante sous ses pieds qui le dévore tout entier. Il le sait, coupable, qu’il aurait dû le faire plus tôt. La sauver de Détroit comme elle voulait les sauver. L’arracher à cette infâme terre et la ramener sur la terre des Dieux. Sur la terre des glaces. Chez elle. A la maison. Il espère Niklas qu’il a pu être ces maigres années une demeure pour elle comme Tekla l’a été pour lui. Comme elle continue de l’être, lune des nuits monstrueuses. Soleil des jours tristes. Je suis tellement désolé. Le cri silencieux d’un petit garçon à sa maman. A espérer qu’aujourd’hui ne soit pas trop tard. A espérer, qu’entre ici et là-bas. Qu’entre la terre des hommes et le royaume des âmes, maman l’aime toujours et lui pardonne son odieux retard.
*** Terrible ravage inondant son être. Les affres de solitude qui s’enfoncent dans sa chair, tessons de verre lacérant tout sur leurs passages. Niklas en oublie le froid qui mord ses doigts gelés serrant l’urne contre lui, même si l’espoir d’en ressentir, même lointain, la chaleur d’un tendre câlin l’a abandonné. Il en oublie presque ses orteils léchés par l’eau froide, foudroyé par le chagrin et les ombres lucifériennes. Hydres façonnées par le passé et les mains maudites en caresses abominées le fixant pour les toujours qui blessent. Le regard s’enterre dans les flots alors que le désespoir empoigne l’être, s’enroulant autour de son esprit beaucoup trop affaibli par les voyages aux confins du monde. De ces enfers à cette terre sacrée où l’imaginaire se redessine. Pourtant, face aux paysages contés et aussi merveilleux qu’ils ont été décrits, face à ses rêves de petit garçon qui s’animent, Niklas se sent douloureusement seul. L’horizon est tissé de souvenirs et dans les vagues qui se rompent la nuque contre les falaises, c’est un peu de cette voix réconfortante qui s’éloigne. Les rires d’Azalea qui s’estompent dans les écumes. Les yeux malicieux d’Amethyst qui s’effacent dans les courants impétueux. Les précieuses qui ont toujours su l’agripper à ce monde, donner quelque sens à cette errance douloureuse. Le seul but à cette existence néfaste et nécrosée. Toute la souffrance et les tristesses que le pâtissier n'a jamais dit sont devenues une forteresse impénétrable. Aujourd’hui, les fondations s’écroulent et tout part dans leurs chutes : les dernières forces, les derniers lueurs de lucidité. J’ai passé ma vie à résister à l’envie de la finir Ivre de ces supplices, condamné à mort déposant son saint-graal sur la côté avant d’entamer sa marche. La toute dernière. Celle où il laissera la fatigue l’emporter sur tout le reste. Le repos d’un soldat qui a essayé de tenir toutes ces années mais qui n’a su que se fissurer d’années en années. Pardon Amethyste. L’étendue salée sanctifie, mordille sa taille alors qu’il s’enfonce, en sachant avec affliction qu’il n’a pas été le meilleur mari qui soit. Pardon Levi. Tête blonde qui apparaît sous ses paupières pendant que l’eau colérique lui dévore le torse. Les retrouvailles qu’il a rêvé tant de fois, espéré vivre un jour … ce jour qui n’arrivera pas, l’homme les leur arrache en s’enfonçant dans l’eau sombre. Niklas espère qu'il est heureux où il se trouve, plus heureux que lui. Pardon Azalea. Arc-en-ciel de ses jours d’orage, le papillon virevoltant. Lui souhaitant tout le bonheur du monde, sachant dans ses plus grands tourments, qu’elle sera mieux sans lui. Sans lui et ses ombres. Sans lui et ses maux. Sans lui et ses silencieux qui blessent. Je t’ai aimé. Sûrement jamais assez, emprisonnés par des maudits et des mots non dits. Alors Niklas lui offre ses dernières pensées, chair de sa chair, avant de sombrer les flots. De les laisser l’emporter loin de ce monde qui l’a mâché puis recraché tant de fois. Et si des larmes ravagent sa face meurtrie, les courants tumultueux les dévorent, affamés. Maman, je te rejoins. L’eau salée qui s’engouffre dans la gorge sonne comme une délivrance. Enfin.
@Cáel Sweeney |
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