“ all stories are true ”Vivre avec Silas est pour le moins étrange. En vérité, Olivia ne le voit pas souvent – voire même jamais. Elle pourrait vivre seule dans cet appartement qui n’est pas le sien et elle ne sentirait certainement pas la différence.
Son ex-beau-père n’est jamais là. Toujours
absent. Est-ce que c’est dans ses habitudes ou bien est-ce qu’il l’évite, la jeune fille ne saurait dire. Mais c’est peut-être
mieux ainsi. Elle se sent même
soulagée, un peu, de ne pas avoir à le croiser chaque jour. Elle suppose que la cohabitation n’en serait que plus compliquée – plus
gênante aussi. Il fait sa vie de son côté et elle la sienne.
Et tout va pour le mieux.
Elle sent pourtant sa présence un peu partout chez lui, dans les meubles jusque dans l’odeur qui traîne dans le salon – une sorte d’odeur de vieux cigare et d’alcool mélangé qui a imprégné les tissus des rideaux et du vieux canapé.
Le matin, quand elle se réveille, l’odeur semble la prendre à la gorge et lui filer la nausée mais elle a fini par s’y habituer. Olivia n’a pas d’autre choix, de toute façon.
Elle essaye de se faire toute
petite. De se faire
oublier. Elle essaye de ne pas laisser de trace de son passage, un peu comme si elle préférait ne pas rappeler sa présence à Silas. Comme si elle préférait ne pas lui rappeler qu’elle est chez lui au cas où il en prendrait véritablement conscience et décide de la virer soudainement de chez lui après l’avoir accueillie. La blonde ne sait pas trop si ça fonctionne, elle n’a pas eu l’occasion de lui poser la question – et elle ne l’aura probablement pas de sitôt.
Elle ne
veut pas avoir l’occasion de lui poser la question, de toute façon.
Les journées sont longues et silencieuses. Olivia n’a pas vraiment d’endroit où aller.
Elle ne sait pas quoi faire de sa peau, en vérité. Elle a tenté de réfléchir à la situation, de trouver une quelconque solution à tous ces problèmes qui semblent s’amonceler comme une piles d’ordures malodorantes. Mais elle n’a
rien trouvé. Elle ne sait toujours pas quoi faire concernant l’enfant qu’elle porte – et William qui ne répond ni à ses appels ni à ses messages ne l’aide pas à prendre une véritable décision. Est-ce qu’elle
veut vraiment le garder ? Est-ce qu’elle est vraiment
capable de devenir maman, à son âge ? Elle sera seule pour élever cet enfant et elle n’a absolument aucune idée de comment faire, de quoi faire
tout court.
Elle aurait voulu pouvoir se tourner vers sa mère, mais elle non plus ne répond pas à ses appels. Les sonneries s’enchaînent dans le vide jusqu’au message du répondeur ; parfois elle est directement envoyée sur messagerie. Mais à chaque fois, son cœur se
brise un petit peu plus et Olivia se sent l’envie de pleurer jusqu’à se dessécher. La plupart du temps, elle serre juste les lèvres jusqu’à ce que ça fasse mal. Elle laisse sa vue se brouiller de larmes trop chaudes puis elle ravale son chagrin, et elle se force à sourire jusqu’à ce que la courbure de ses lèvres lui paraisse plus vraie que nature. Mais quelquefois, la douleur est trop vive alors elle se laisse aller à pleurer. Elle s’endort sur son oreiller humide puis se réveille comme après une soirée trop arrosée. Elle a mal au crâne et tout est trop brillant – et elle se dit «
plus jamais ».
Certains jours, elle veut juste rester sous la couette et dans le noir. D’autres, elle veut sortir et faire la fête jusqu’à tout oublier. Mais elle ne peut plus faire la fête – elle attend un
bébé. Alors cette pensée la ramène à tous ses problèmes et le tourbillon l’emporte à nouveau dans une spirale infernale qui lui donne juste envie de vomir.
Olivia a encore cette pensée terrible qui la poursuit quand elle pénètre dans sa librairie habituelle. L’odeur des vieux livres, et celle des plus neufs, se mélangent et elle se sent à nouveau comme
chez elle. Cet endroit, c’est comme une couverture épaisse que l’on poserait sur ses épaules. C’est comme une soirée au coin du feu, alors que la pluie d’automne s’abat contre les vitres dans une mélodie apaisante. Olivia, elle respire à nouveau.
Olivia, elle
vit à nouveau.
Comme à son habitude, la blonde déambule entre les rayons. Elle effleure les couvertures du bout des doigts, frissonne doucement à sentir les reliures qui griffent légèrement sa peau. C’était ça, son endroit à elle.
C’était ici qu’elle pouvait être elle-même. Ou plutôt cette version d’elle-même qu’elle aurait voulu être.
La jeune fille empoigne un ouvrage, se retourne pour s’adosser contre une étagère quand elle percute violemment quelqu’un. Dans le choc qui la fait reculer, elle lâche son livre et elle entend le bruit mat contre le sol. «
Non, c’est moi. Je n’ai pas fait attention en me retournant, elle laisse échapper, la voix basse alors qu’elle s’est précipitée pour récupérer le livre. » Elle offre un sourire un peu contrit à l’inconnue qui la fixe trop violemment. Elle se balance d’un pied sur l’autre, presque gênée. «
My Antonia, de Willa Cather ? Très bon choix, elle acquiesce avec plus de naturel.
J’ai adoré ! » Olivia a dû le lire pour son premier semestre à l’université. Elle a été passionnée par ce cours de littérature américaine, peut-être parce que son professeur lui-même lui avait semblé passionné par le sujet. Elle se rappelle avoir bu ses paroles comme on boirait de l’ambroisie.
Et puis elle a dû tout arrêter. Tout quitter.
Encore quelque chose qu’elle a dû abandonner. Encore quelque chose qu’elle regrettait.