Be my guest | Lily

La solitude trouble les cerveaux qu’elle n’illumine pas, avait dit un jour Victor Hugo, célèbre dramaturge et poète français qu’elle aime parfois lire, Lily, lorsque les draps froids de son grand lit n’accueillent seulement sa silhouette. Sûrement avait-il raison concernant cette affirmation, mais la Sterling n’arrivait pas à correctement se situer dans sa solitude. Si elle l’avait longtemps aidé à rester concentrée et inspirée, les choses étaient dorénavant bien différentes. La solitude, elle lui tord les entrailles, diffuse un parfum amer dans ses veines, alors qu’elle se trouve pourtant en plein milieu d’une foule, regards braqués sur elle. Sur lui. Sur eux. La solitude, elle la ressent même lorsqu’il serre son corps frêle contre lui, pour montrer au monde l’illusion enchanteresse dont elle espère désespérément la réalité une fois les rideaux fermés. La solitude, elle a fini par devenir sa meilleure amie, seule accompagnatrice fidèle capable de supporter les maux profonds de l’âme en perdition qu’elle devenait petit à petit.

Le regard vague se perd dans le vide, le verre est siroté dans un geste presque machinal, alors que les pensées tendent de nouveau vers le centre de son monde : sa famille. Elle était venue là pour oublier un peu, ce soir. Oublier ou s’oublier. S’échapper d’une routine malsaine mais devenue habituelle, celle d’attendre, ombre campée derrière l’une des nombreuses fenêtres. Lily, elle ne se permet que rarement ce genre d’écart, n’approuve pas tellement l’idée de se rendre seule dans un endroit si propice à toutes sortes de vices, mais elle avait eu le besoin puissant que de le faire, au risque de tourner folle autrement. L’esprit continue de la tourmenter, son cocktail atteint pratiquement ses lippes lorsqu’un toucher inattendu interrompt et ses songes, et son mouvement. Elle se redresse vivement, en état d’alerte, repose son verre contre le bois du comptoir tout en tournant son attention vers la voix grave se présentant sur sa droite. C’est un regard peu aimable orné de sourcils froncés qui répondent dans un premier temps au charmeur de la soirée, avant que ce ne soit la stupéfaction qui se dessine sur ses traits. La chaleur de sa main quitte le bas de son échine, et seulement à ce moment, elle arrive à se détendre un peu, à l’instar de ses muscles. Les mots ne lui viennent pas directement, encore surprise qu’on soit venu la libérer de ses pensées. Plus sereine, elle empoigne à nouveau sa boisson en la montrant furtivement. “Madame,” répond-elle en premier lieu, afin que le gentleman comprenne bien qu’il ne faisait pas face à une petite jeunette avide de son attention, aussi beau peut-il être. “Elizabeth Sterling,” se présente-t-elle, plutôt ravie de voir qu’elle pouvait passer inaperçu sans qu’on ne la pointe du doigt en chuchotant qu’elle était la femme du grand politique. Le mince sourire qui se dessinait disparut aussitôt à l’entente de celui-ci, et son verre fut terminé d’une traite. Regard et hochement de tête lancés au barman pour qu’il lui réitère sa commande, et elle se met à ricaner doucement. Leofstan remarquerait-il seulement son absence? Rentrerait-il lui même ce soir? Questions auxquelles elle ne préfère même pas penser, finalement. “Beaucoup de travail. J’avais simplement envie de me détendre.” Et puis vous êtes arrivé, qu’elle aurait bien ajouté, mais se retint, suivant du regard ses gestes entreprenants. Gênée ou amusée, elle ne sait pas trop, mais ça a au moins le mérite de la bousculer un peu. “Vous êtes un très bon charmeur, monsieur Vincci, mais je vais devoir passer mon tour,” rétorque Lily, intérieurement outrée à la simple idée que de commettre un adultère. Alors même que son mari ne se gênait pas pour le faire.

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